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Page:Académie française - Recueil des discours, 1890-1899, 2e partie, 1900.djvu/217

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philosophes, ils parlent de Napoléon comme ils feraient de l’un d’eux, en politiques autant qu’en historiens. Ce qui n’empêche que, s’il fallait opter, c’est avec eux, c’est à leur suite que je me rangerais, — non sans quelque tristesse, et peut-être quelque remords, — mais avec la conscience de défendre contre les retours de popularité d’une grande mémoire les deux libertés qui nous importent d’abord, à nous qui écrivons ; et qui contiennent peut-être toutes les autres : celle de penser comme nous voulons, et celle de parler comme nous pensons : sentire quae velis et dicere quae sentias.

Vous m’avez épargné la difficulté de ce choix, et je vous en remercie. Vous avez bien pu, dans votre 1814 et dans la première partie de votre 1815, vous faire quelque illusion, à mon avis du moins, sur la profondeur et l’universalité des sentiments que l’abdication de l’Empereur et son retour de l’île d’Elbe avaient remués dans l’âme populaire. Mais votre instinct patriotique, supérieur à toutes les discussions, ne vous a pas trompé. Car c’est alors, oui, c’est bien alors, en cette année 1814, que s’est comme achevée l’union de la France avec l’Empereur ; et ce que tant de prospérités n’avaient pu faire, c’est le malheur qui l’a consommé. De l’homme d’Arcole et de Rivoli, vous l’avez bien vu, Monsieur, c’est Moutmirail et Champaubert qui ont fait l’homme de la France. En ces jours d’épreuves, si rien d’humain n’avait battu jusqu’alors sous son épaisse armure il s’est senti lié, par des fibres plus intimes, plus résistantes qu’il ne le savait peut-être par lui-même, à son peuple fidèle : et ce peuple a compris qu’il n’y allait plus, dans cette héroïque agonie, de la fortune ou des ambitions d’un seul