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Page:Académie française - Recueil des discours, 1890-1899, 2e partie, 1900.djvu/430

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modeste jardin de province aux murs tapissés de framboisiers. Des plantes depuis longtemps démodées y fleurissaient fidèlement chaque année aux mêmes places. Derrière les pignons voilés d’aristoloches, je voyais pointer un clocher où les heures sonnaient discrètement. Aux mourantes rougeurs du crépuscule, je relisais avec attendrissement la page commencée et il me semblait, dans l’égouttement sonore des fontaines, dans les vibrations des cloches, entendre une voix familière qui murmurait : « Tu auras le prix ! »

Je n’eus pas le prix. Mais cette tentative infructueuse ne m’en poussa pas moins plus avant vers l’étude des poètes et l’amour des beaux vers. Du reste, je ne perdais rien pour attendre. Plus tard, un de vos très distingués confrères, qui s’était donné la généreuse mission d’encourager les jeunes poètes, M. Pierre Lebrun, vous signala mon premier recueil et, grâce à son aimable initiative, je reçus de vous ma première récompense littéraire. C’est pour moi un devoir très doux d’évoquer ce souvenir de jeunesse et d’offrir un témoignage de reconnaissance à la mémoire du lettré, de l’homme de bien qui occupa jadis ce fauteuil où m’ont fait asseoir vos suffrages. À la lointaine marque de sympathie que j’ai plaisir à rappeler, votre Compagnie vient, en effet, d’ajouter une rare faveur en me désignant pour succéder à Alexandre Dumas, au puissant auteur dramatique dont la disparition a mis en deuil le Théâtre et les Lettres.

Cependant, Messieurs, cet honneur dont je suis fier et dont je vous remercie du fond du cœur, ne laisse pas de me troubler. Je me sens tourmenté d’une cruelle inquié-