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Page:Académie française - Recueil des discours, 1890-1899, 2e partie, 1900.djvu/446

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accrurent sa réputation ; toutes fournirent une belle carrière, à l’exception de L’Ami des femmes, que le public accueillit froidement. « La pièce se débattit, dit Dumas, pendant une quarantaine de jours, contre l’étonnement, le silence, l’embarras, et quelquefois les protestations des auditeurs. Un soir même, un spectateur de l’orchestre, plus sanguin ou plus bilieux que les autres, plus choqué en tout cas, se leva après le récit du quatrième acte et s’écria : « C’est dégoûtant[1] ! » L’auteur en ressentit un chagrin d’autant plus amer que cette opinion de la foule et des critiques eux-mêmes lui paraissait absolument injuste. Il en appelait à un public moins prévenu et mieux informé, et il avait raison. S’il est, dans le théâtre d’Alexandre Dumas, des comédies plus claires, mieux agencées et plus sympathiques, il n’en est pas qui contiennent de plus curieux caractères, des situations plus neuves et plus hardies, un esprit plus mordant et de plus étincelants paradoxes. L’aventure de Mme de Simrose y est traitée avec une infinie délicatesse et le personnage de Ryons, ce frère puîné d’Olivier de Jalin, est une création des plus savantes et des plus originales. Cet étrange Ami des femmes parut invraisemblable aux spectateurs de 1864. Ils le trouvaient énigmatique ; ils ne comprenaient point l’ironie acerbe de ce garçon florissant et riche, à qui la vie est facile et dont la misanthropie inquiète n’est motivée ni par la mauvaise fortune ni par des souffrances d’amour. C’est que de Ryons était en avance sur son temps. Alexandre Dumas, en le créant, avait eu, comme Balzac pour quel-

  1. (Préface du Demi-Monde).