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Page:Académie française - Recueil des discours, 1890-1899, 2e partie, 1900.djvu/459

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gées aux dernières vacances. Cet arome des fraises mûres dont vous parliez avec une fine sensualité doucement païenne, nous l’avions respiré dans l’air de notre été. Nous vous sentîmes tout de suite si près de nous, si vraiment pénétré d’impressions pareilles aux nôtres que cette poésie rustique et familière nous prit dès ce premier jour, et le nom d’André Theuriet commença de passer et de repasser dans nos entretiens d’écoliers passionnés déjà de littérature. J’imagine qu’il repasse de même aujourd’hui dans les propos d’adolescents semblables à ceux que nous étions alors et qui vont cherchant dans les livres de leurs contemporains célèbres des révélations sur l’énigme de leur propre cœur. Les portions de leur sensibilité secrète que votre œuvre de poète leur éclaire sont parmi les plus délicates et les plus profondes, puisque vous leur apprenez à sentir et à aimer la terre sur laquelle ils vivent, et à être, comme vous-même, absolument, intimement, vraiment de leur pays.

Être d’un pays !… Quelle simple formule, si simple qu’elle semble au premier abord presque dépourvue de sens ! Bridoison disait : « On est toujours fils de quelqu’un. » Il aurait pu ajouter : « et né quelque part. » Mais les registres de l’état civil, en accolant à notre nom celui de l’endroit où nous avons vu le jour, ne nous font pas de cet endroit. Il faut autre chose pour que s’accomplisse ce mystérieux mariage du sol et de l’âme que l’homme résume dans ce mot si tendre et si profond : mon pays. Pour être d’un pays, il ne suffit pas d’y être né, il ne suffit même pas d’y avoir grandi. Il faut que notre famille y ait duré, que ceux dont nous sortons aient joué enfants là où nous