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Page:Académie française - Recueil des discours, 1890-1899, 2e partie, 1900.djvu/472

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un grand Parisien, celui peut-être depuis Balzac qui a le plus intimement pénétré cette prodigieuse ville. Pourtant cette appellation détonne, appliquée à cette génialité si riche. Il tranchait trop fortement, par son opulence de nature, sur le type d’humanité que produisent nos boulevards, nos salons et nos cénacles et dont le trait le plus marquant est un affinement critique, un peu voisin de l’impuissance. Non. Dumas était né à Paris. Il habitait Paris. Il sentait, il aimait profondément Paris. Mais là encore, il était hors cadre. Il eût été une exception partout. Je vous félicitais tout à l’heure, d’avoir connu et célébré la bienfaisance du terroir natal, des mœurs familiales, de l’hérédité simple. Ce bienfait que tant d’humbles destinées subissent sans l’apprécier, l’illustre auteur du Fils naturel et du Père prodigue l’a toujours regretté et il ne l’a jamais reçu. Il était né au-dessus et à côté de toutes les conditions qui assurent à un être humain un développement normal et qui lui permettent d’avoir des semblables, dût-il les dépasser. Enfant illégitime d’un artiste qui fut lui-même excessif de toutes manières, et par le retentissement de la renommée et par la prodigalité du génie, ses origines étaient si complexes qu’à trois générations en arrière il remontait à un aïeul gentilhomme et une aïeule esclave, et comme nous ne sommes jamais, suivant la saisissante formule du philosophe, que l’addition de notre race, jusqu’à la fin, même comblé d’honneurs et de gloire, il devait demeurer et s’en aller tel qu’il était venu, un dominateur à la fois et un révolté.

Cet indépendant irréductible avait à son service un esprit de conversation si original, qu’en le donnant à ses personnages, M. Dumas a renouvelé du coup le dialogue