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Page:Achille Essebac - Luc.djvu/46

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LUC

La nervosité soudaine communiquée par ce dîner auquel il était convié lui confirmait la réalité de sensations dont il voulait douter encore malgré l’émoi délicieux de son être. Les moindres manifestations des objets et des gens le touchaient ; il y avait une affinité suraiguë entre elles et lui. Il ne put se rendre compte, ce soir de printemps tiède et enjôleur, d’où venaient les effluves qui l’enveloppaient tout entier, le berçaient dans leurs indicibles remous et prenaient en d’indéfinissables caresses — effervescentes comme la neuve saison chassant hors leurs bourgeons les pâles verdures des platanes — la chair impalpable de son âme, la douce chair émue et remuée de son corps… Il ne sut pas. Mais le long du trottoir où il s’amusait à franchir, sans mettre les pieds dessus, les joints des larges dalles, il voyait aussi la foule, la Foule. Et la foule le subjuguait. Il rêvait, lui aussi, de conquérir et de s’imposer à cette foule laide ou quelconque parmi laquelle se levaient de frêles et délicates silhouettes révélatrices d’âmes délicates et frêles — telles, parmi les graminées innombrables des prés, se dressent au soleil des fleurs sveltes et fragiles…

Il s’amusait aussi à faire un choix rapide parmi les jolies figures des passants ; et comme il n’avait pas encore, bien que l’eussent étonné déjà certains signes, une idée absolue des causes déterminantes de nos préférences, toutes les figures et toutes les formes, pourvu qu’elles fussent élégantes et douces, l’attiraient. Il ne faisait autant dire aucune différence entre les visages juvéniles des femmes, des filles ou des jeunes hommes. La vieillesse seule et la laideur