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Page:Adam - L’Enfant d’Austerlitz (1901).djvu/124

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tout d’elles. Du vieillard éducateur, au contraire, il savait beaucoup de choses : un esprit acharné à instruire, une largesse en cadeaux somptueux, la sévérité de ses brusques colères, lui rougissant les joues et les oreilles, injectant de lumière les gros yeux furieux. La vie de l’enfant dépendait entière de celle-ci, sa vie présente et future, l’avenir de sa fortune. Caroline Cavrois, méticuleuse et triste, plutôt bougonnante, laide en outre, ne paraissait pas s’occuper de son pupille ! De cette négligence, il concluait qu’elle ne le pourrait enrichir. Ainsi l’avait toujours craint grand-père Lyrisse.

D’ailleurs la tante Caroline était sournoise, même hostile quand elle demeurait tout un après-midi sur les coussins d’une bergère, en répétant le geste machinal de savonner ses mains grasses, garnies d’anneaux en or nu, sans pierreries.

Omer l’aima peu : elle l’interrogeait sur la table de Pythagore dès qu’elle pouvait lui prendre l’oreille dans un coin. Pourtant, certain jour, elle le mena voir l’escamoteur qui dressait son tréteau devant la grille, au milieu d’écoliers et de badauds narquois. Un jeune homme en longue redingote appelait dans un clairon. Une grosse femme battait le tambour énergiquement, inattentive aux soubresauts de son ample châle vert et jaune. Entre eux, l’opérateur se dépouillait d’une houppelande incolore, pour laisser voir la sincérité de ses bras nus et poilus hors d’un gilet à carreaux marrons et blancs, comme ceux du pantalon qui serrait la bedaine. Sa faconde invoquait les traditions de l’art magique, pendant qu’il plaçait des balles en drap de couleurs sur les trois gobelets devant recouvrir la muscade. Que ne fit-il point de surprenant ? La muscade passait sous une timbale d’étain, sous une autre, d’après l’ordre de la baguette, à travers la table, probablement. D’un chapeau, il extirpa deux tourterelles vivantes cueillies