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Page:Adam - L’Enfant d’Austerlitz (1901).djvu/195

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des saints hommes, leurs visages extatiques, ou leurs corps prosternés.

Mais, au dehors, la calotte dépliée, replantée sur l’occiput, ils redevenaient des maîtres alternativement doucereux et sévères, les uns bedonnants, bavards, les autres étiques, muets. Ils reniflaient du tabac, confondaient leurs chapelets et leurs mouchoirs de couleur, s’ils les tiraient vite de la poche après l’éternuement. Leur barbe de plusieurs jours hérissait leurs joues. Ils laissaient après eux le sillage d’une odeur rance.

Sournois et patient, le père Corbinon enseignait les grammaires. En classe, il s’adossait à la muraille ; il enfonçait les poings dans sa ceinture à franges, et là, deux heures durant, il eût fait redire mille fois à Omer debout, l’ablatif pluriel de soror, marmor, puer, indoles le duel de vingt mots grecs choisis, l’aoriste de trois verbes irréguliers, ou soixante-huit vers omis du Jardin des racines grecques, sans que fléchit une seconde cette obstination froide, cruelle et sûre de vaincre. Le maître n’expliquait rien, ne commentait pas. Sa mémoire vérifiait, dans les mémoires des élèves, le bon état de syllabes enseignées par séries de déclinaisons, de conjugaisons. Il fut le tortionnaire de la vie. Les apparences du monde disparurent derrière les formes des génitifs douteux, les accusatifs des régimes au verbe introuvable, les solécismes inopinément apparus dans la phrase longtemps travaillée et d’une correction si probable ! Quand naissait, aux sourcils gris du père Corbinon, une ride angulaire, quand les deux branches se creusaient en divergeant vers la racine des cheveux drus, Omer pressentait sa faute.

― Cherchez le solécisme, je vous prie, monsieur ! commandait la voix sèche.

À chaque hypothèse de l’enfant :

― Non ! Grognait le maître.

En silence, la classe haletait devant la peine qui allait