Aller au contenu

Page:Adam - L’Enfant d’Austerlitz (1901).djvu/22

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trait dans la lumière de son visage pour mieux scruter encore la petite âme incapable. À la sentir obstinée, sévère et nerveuse, il craignait. Les pleurs lui montaient aux yeux. Elle l’écartait alors, furieuse.

― Cet enfant n’a pas de cœur ! Il ne se rappelle rien !… Mon Dieu ! Mon Dieu !…

Et dans le mouchoir toujours humide elle enfouissait la douleur de sa face.

Tante Aurélie agissait de même envers Denise qui savait un peu mieux, étant plus âgée d’un an.

Des saisons illuminèrent l’appartement, d’autres l’obscurcirent. À la fenêtre, dans les bras de la picarde, Omer apprenait la vie de la rue, les magnificences des équipages avec leurs chasseurs empanachés, leurs laquais debout entre les ressorts, sur le porte-coffre de l’arrière, et tous les cris des artisans qui offrent de réparer la fontaine et la porcelaine, de montrer la lanterne magique, de vendre les chansons, la marée bien fraîche, les allumettes, les herbes et salades, d’acheter la ferraille, les bouteilles cassées, les tonneaux, les chiffons et les peaux de lapin. Céline connaissait tout, l’expliquait abondamment pour lui seul, car la tante Aurélie emmenait toujours la sœur jouer avec les petits cousins, le grand Émile qui avait dix ans et possédait une armure romaine en cuivre, le petit Édouard que sa mère habillait comme Denise et qui donnait des coups méchants, Delphine, dite Mme Quiquengrogne : elle tirait les cheveux quand on touchait aux robes de ses belles poupées, une impératrice avec un manteau de velours plein d’abeilles d’or, un pape de satin blanc avec une tiare à trois couronnes d’argent, et beaucoup d’autres vêtues en dames, en reines, en poissardes. Quand Omer regrettait de n’en pas recevoir de semblables, Céline lui vantait celles en chair et en os de la rue. N’avait-il pas les quatre petites modistes d’en face qui lui riaient entre les chapeaux profonds plantés dans la