Page:Adam - L’Enfant d’Austerlitz (1901).djvu/27

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sourire, affublée de la sorte, l’effaroucha même. À la toucher il eut pu devenir sénile et velu comme elle. Cherchant refuge dans le tablier de la picarde, il y voila sa crainte. Que son erreur provint seulement d’une mode nouvelle inaugurée cet hiver-là, il le comprit mal à travers les explications patientes de Céline. Ces gens lui semblèrent d’autres races ; les ennemis.

En son petit cœur, le sang affluait trop vite, et l’air sortait difficilement de sa gorge étrécie par l’angoisse de découvrir l’immensité de la vie extérieure, tout hostile.

Plus il marchait, plus s’accumulaient maintes preuves de cette vérité subite. Souvenir des récits évoquant les régions lointaines, irréelles, où l’on tue les petits chrétiens, où l’on adore un autre dieu que Jésus, ce souvenir l’obséda quand il eut croisé le turc muni d’un croissant métallique au turban, et d’un soleil au dos. Céline se vantait de savoir tout. La notion de l’étendue planétaire s’établissait dans les chambres auparavant exiguës de la mentalité. Elle disjoignait les limites, elle enfonçait les cloisons, elle amenait dans l’univers de la chaussée d’Antin, des peuples, des pays, des Océans. Et l’âme d’Omer s’effraya d’être amoindrie par comparaison. Elle se jugea faible. Ce fut, en lui, un effondrement de ses gloires. Chétif, il redouta comme un meurtrier, l’apothicaire blémi, qui, la seringue à la main, menaçait d’aspersion les badauds et les élégants assis sur quatre rangées de chaises, entre les platanes. Pourquoi tant de gaité accueillait-elle cette menace ? Pourquoi tant de visages s’illuminaient-ils de cris joyeux ? Pourquoi tant de gestes, brandissant les cannes, les manchons ? Convenaient-ils à ce personnage livide, de noir habillé, et qui hurlait lugubrement ? Seuls les petits se devaient-ils épouvaner ? Il ne sut. La complicité de la foule et du masque dérouta son intelligence. Céline eut pitié, l’emmena.