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Page:Adam - L’Enfant d’Austerlitz (1901).djvu/36

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bliques. Leurs sabres tintent. À leurs compliments, les jolies dames aiment rire. Qu’au ciel, des ambitions supérieures fussent apparemment satisfaites, Omer n’en doutait pas ; mais le fait d’avoir été tué à la guerre, au lieu de vaincre, diminuait, au sens du fils, le mérite du père. Cela gâtait peu le plaisir qu’il prenait aux taquineries des élégants hussards, des dragons roides, des hauts cuirassiers en escorte près la calèche de tante Malvina, sur tant de chevaux robustes et dociles.

Vers ce temps, Omer se promit de ne pas mourir. Il acquit la notion d’exister, actif et avide. Dès la première dragée mordue, son imagination se peuplait immédiatement d’espérances curieuses. Il lui semblait que chaque bonbon de la boîte apporterait un plaisir différent à sa bouche. D’une joie, il concluait à mille autres joies analogues, toutes possibles, et nuancées. Rien ne le déçut davantage que de constater la similitude entre la troisième dragée et la première, entre la septième et la cinquième. L’univers était infécond pour l’ampleur de son appétit. Les allées du jardin, à Tivoli, devinrent trop étroites pour les évolutions de sa balle, et les brouettes pour les ouvrages de terrassement. Au drap tendu dans la chambre obscurcie, l’homme de la lanterne magique ne montrait plus assez de légendes. Si vite se succédaient les scènes, que l’enfant n’admit guère la possibilité d’apercevoir presque en même temps compère le loup dévorer la vieille, revêtir la camisole et la coiffe, puis répondre au petit Chaperon Rouge, déjà parvenu jusqu’à la chevillette de la porte. Omer désira une logique meilleure. La brièveté du spectacle magique dans le cercle de lumière, gâchait l’espoir du positif, c’est-à-dire la vérité de la victoire du loup, seule chose qui l’intéressât dès la troisième représentation. Un fait ne valut que par son résultat. Ainsi mécontentait la mort du père, défaite certaine, pour glorieuse qu’on la louât.