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Page:Adam - L’Enfant d’Austerlitz (1901).djvu/491

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creusa dans la foule un passage. Elle remercia d’un regard nouveau. Ce fut l’offre d’une politesse morne et sans joie. Il s’y mêlait tant de tristesse que le jeune homme ne se permit pas de saluer. D’ailleurs, il n’osait en public aborder une élégante de cette condition. Elle portait une toilette trop propre pour une servante, pour une grisette, trop claire pour une bourgeoise, trop simple pour une courtisane digne d’un fashionable. Omer craignit autant de se compromettre que d’être rabroué. Ce n’était plus la solitude des campagnes propice à l’audace. Ici cent yeux railleurs le guettaient sous le chapeau de cuir du manœuvre, sous la casquette de l’ouvrier, l’ombrelle de la flâneuse, le bonnet de la servante cauchoise, la coiffe de la marchande, le bicorne du soldat.

La honte de pécher sous cet examen le détourna de tenter incontinent l’aventure. Mais les soubresauts de son cœur se précipitèrent, au moindre ralentissement de cette marche féminine qui révélait les formes harmonieuses d’une Oréade chantée dans un poème à la grecque. Il eut voulu respirer l’odeur de cette poitrine. Et ce lui devint une obsession physique plus puissante que sa raison. Peu à peu le besoin de cette volupté grandit jusqu’à l’étourdir. Omer appréhendait que la fille ne s’arrêtât pour lui faciliter l’approche. Pourrait-il alors décider son orgueil à risquer l’affront improbable d’être raillé ? Il en douta. Une seule chance de rebuffade, contre cent de bon accueil, suffisait à rendre farouche et timide sa passion envers cette belle personne élégante dans une simple percale brodée d’épis en soie. Surtout il avait peur de la fâcher en lui parlant aussitôt, avant qu’elle fût convaincue par l’assiduité de la poursuite. Et il s’oublia dans cette hésitation. En dépit de son goût, il s’ingénia donc à ne pas la rejoindre. Au bout de la rue, les édifices du Palais-Royal apparurent, ses grilles, et le porche qu’il franchit à la suite de la nymphe.