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Page:Adam - L’Enfant d’Austerlitz (1901).djvu/529

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loyal, accapara toute votre affection, à la place de ce gentilhomme adroit. Je prise et j’admire cette profonde et noble amitié qui vous lia tous deux, qui vous fit promettre de marier ensemble vos enfants nés à la même date… Vous détestiez la ruse de Praxi-Blassans. Vous aimiez la franchise de Bernard… Denise est comme vous. Elle craint l’esprit d’Édouard, élevé dans la société fourbe des diplomates. Elle me l’a dit mille fois. Le caractère de Praxi-Blassans effraie la simplicité de son cœur noble et généreux comme celui de son père.

― Oh ! oui, cela m’effraie ! ― protesta Denise, toujours immobile et qui reniflait ses larmes. ― Oh ! oui…

― Denise ! Denise ! ― s’écria la tante Aurélie, du fond de l’ombre. ― J’ai instruit Édouard en vue de ton seul bonheur. Je l’ai formé à l’image de ton père, autant qu’il me fut possible. Il t’aime tant ! Il t’adore avec tout l’amour que j’ai su cultiver en son cœur. C’est pour toi que je lui fis lire les poèmes qui enchantent l’âme et qui donnent l’envie d’aimer passionnément. Je lui enseignai que la Béatrice du Dante, c’était toi ; que la Laure de Pétrarque, c’était toi ; que la Virginie de Bernardin de Saint-Pierre, c’était toi. Je lui appris lentement à chérir comme j’aurais voulu être chérie, comme j’avais rêvé, toute ma vie, d’être chérie. Maintenant il t’aime, il t’adore. Il mourra de ton abandon. Quoi ! Denise, me rendrais-tu criminelle et marâtre devant un fils qui m’accuserait de n’avoir pas su prévoir sa douleur ? Rejetterais-tu dans mes bras un enfant désespéré, blasphémant contre la nature ?… Denise !

― Édouard n’aime pas, ― ripostait la jeune fille d’une voix sourde et grelottante. ― Il entend surtout me dominer. Il espionne mes gestes, il me demande compte de toutes mes paroles, il soupçonne tous mes pas. Il ne m’aime pas ; il veut me dominer, voilà tout…