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Page:Adam - L’Enfant d’Austerlitz (1901).djvu/55

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la manière de cotillons troussés, dont la crête n’eût guère différé du foulard ceignant la tête. Avec vigueur elle découvrait la fournaise et tisonnait les flammes, elle enfournait les poêlons tout grésillants de la colère des sauces. Omer écarquillait les narines et les yeux. On le posait à terre. Alors la rudesse de l’éponge humide assaillait sa figure immédiatement frottée, raclée, essuyée, avant ses mains. Impitoyable, Céline tirait chaque doigt dans le torchon. Ensuite, la nourrissante odeur du potage fumait sur l’assiette. La Picarde mangeait près de lui. Elle coupait fins les morceaux. Du buffet de chêne, le parfum du pain s’évadait, entraînant celui des pommes. À sentir vaguement ainsi les essences de la terre le pénétrer, l’enfant était heureux de vaincre la résistance des chairs que broyaient ses mâchoires, qu’engloutissait la gorge. Il triomphait inconsciemment avec tous les efforts mémorables de la race qui avait asservi les bêtes, cultivé les fruits, écrasé les minéraux salins, conquis la planète pour les descendances. C’était l’heure de joie parfaite et grandiose. Omer s’estimait riche en forces, après s’être repu, communion de l’homme et de la nature.

Sans qu’un mot, sans qu’une image précise vinssent même signifier à son esprit ces raisons, l’âme à l’aise chantait un hymne reconnaissant. Elle jouissait de sa chaleur intime, des goûts demeurés à la langue, elle se complaisait en soi qui contenait les prémices du monde, et se félicitait de l’antique labeur humain.

À ce moment de la soirée entrait Mme Héricourt. Les joues pâles étaient serrées dans la cornette que l’usage provincial imposait aux veuves. Que restait-il d’elle, autrefois si rieuse à Paris, avec ses enfants, Omer et Denise ? Là-bas avait disparu sa joie, depuis l’heure de sanglots qu’il se rappelait toujours en suivant sa mère par les longs corridors, jusqu’à l’oratoire où elle l’emmenait pour la prière quotidienne.