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Page:Adam - Le Serpent noir (1905).djvu/44

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LE SERPENT NOIR

famille américaine se levait, garçons aux jambes nues, filles robustes, déguisés en matelots et matelotes, avec des chevrons rouges sur leurs manches de toile bleue. Deux dames aux profils sioux boutonnaient leurs macfarlanes. Quelques paires de lunettes furent rajustées sur les nez germaniques de touristes en bas verts et en feutre tyrolien. Pansus, courts sur jambes, larges du dos, des Français, vêtus de gris, s’appelaient avec affectation, parlaient pour la galerie, dévisageaient les bonnes innocentes, bien trop affairées dans le branle-bas de la vaisselle qu’on changeait, des serviettes propres qu’on étalait : car une nouvelle série de convives humides et impatients était parquée dans le vestibule. Contre eux, qui se ruaient au couvert, je sus garantir, de ma corpulence et de mon manteau berlinois, madame Hélène et Mme Goulven. Je les fis sortir, à l’abri de ma personne imposante, tandis que l’on heurtait sans miséricorde l’infante, de qui le chapeau fut bouleversé, à la grande indignation de Mme La Revellière, cramoisie. Ce ne me fut pas désagréable : elles purent ainsi juger le prix de mon amitié.

Dehors, le vent continuait ses assauts dans la rue, sur la place, encombrée par la foire religieuse. Il jetait la pluie aux figures ridées, il soulevait les coiffes raides et les parapluies tendus, il soufflait dans les verres des lampes à pétrole qui fumaient partout, empestaient l’air, éclairaient par instants les métaux des médailles bénites, les grains des chapelets, les enluminures des saintes images suspendues aux ficelles des baraques branlantes. Il étouffait la voix des marchandes. Il appliquait aux croupes des paysannes leurs jupes épaisses. Il fripait sur leurs