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Page:Adelswärd-Fersen - Le baiser de Narcisse, 1912.djvu/67

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LE BAISER DE NARCISSE


arbres, sur le ciel vaporeux. Ayant trouvé les porteurs, ils montèrent et s’étendirent sur les coussins larges que raillaient les disciples de Diogène, furieux d’austérité. Aux côtés de Scopas, Milès prit place. Enveloppé de voiles légers, il ne montra plus d’entre les lins de ses chlamides qu’une tête charmante, autour de laquelle brillait un réseau d’argent pareil à quelque fil de lumière. Et les yeux aux cernures cendrées luisaient dans tout cela, des yeux bleus railleurs, mélancoliques et pâles, pâles comme de l’eau gelée.

Des curieux, s’étant approchés malgré les gardes, admiraient la beauté du favori, déjà fameuse. À cause de sa peau transparente sous laquelle le sang coulait comme sous du verre, comme sous un verre embué et presque opalescent, on l’appelait : « le petit dieu d’argent ». Et la légende voulait, car il y avait déjà une légende sur cet enfant de quinze ans, que Milès, arrivé de Byblos l’an passé, de Byblos où on le disait fils d’un roi, avait été vendu contre une somme fabuleuse à l’Apoxyomène ivre, Denys de Corinthe ayant offert deux mille talents pour son premier baiser. On prétendait aussi que, malgré sa grande beauté, il n’avait jamais su rester fidèle à l’amour de ses amants, et que Scopas, jaloux, en souffrait. Depuis longtemps d’ailleurs, personne n’avait vu Milès, que le vieil artiste gardait presque captif en son palais. Et peut-être, à cause de cette servitude, l’adolescent paraissait-il plus rêveur et plus découragé…

De la litière en bois précieux, Milès semblait étranger à lui-même, ayant laissé son âme au pays oriental d’où il était venu. Sous les regards, au milieu de la populace observatrice, aucun muscle de son mince visage ne tressaillait. On eût dit qu’il accueillait avec le silence énigmatique des idoles les murmures confus, les hommages obscurs qui montaient

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