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Page:Adelswärd-Fersen - Le baiser de Narcisse, 1912.djvu/69

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LE BAISER DE NARCISSE

La lumière dorait la poussière fumante. Ils avaient dépassé les murs de Pausanias et arrivaient au jardin d’Academos. De là, en se tournant à peine, Scopas découvrit la ville bigarrée, comme transparente, tant l’air était pur et les ombres limpides. Du Parthénon, traînait sur les quatre vallées une somptueuse broderie de marbre au centre de laquelle comme l’agrafe d’un peplum se ciselait le colosse d’Athena Promachos avec sa lance de vermeil. Les vignes vertes, les mûriers épineux, les oliviers gris tachaient çà et là les maisons, bordées ensuite par la blonde campagne. Au lointain c’était le profil bleu des derniers contreforts de l’Hymette. Plus loin encore, une nappe brillante, semée de nacre et d’argent : la mer.

Des voix troublèrent Scopas dans sa contemplation. Il écouta, regarda et reconnut le vieillard chauve qui, près d’eux, parlait. Entre les aloès et les lauriers, assis sur un rocher, le philosophe Albas entretenait ses disciples, et seules les abeilles continuaient à bruire des ailes quand il élevait la voix. Déjà courbé par l’âge, le rhéteur gardait le visage serein et sceptique qui reflétait ses doctrines. Les complots, les dénonciations dont on voulait le perdre ne paraissaient point avoir troublé son repos.

L’architecte tenait Albas en si grand respect qu’il le salua au passage, puis, interrompant sa course, fit arrêter les porteurs et descendit, suivi de Milès.

« Que Zeus te protège ! dit l’Apoxyomène au philosophe, et qu’il t’accorde la pensée, source de tout bonheur. La terre est assez belle pour que tu parles du ciel !

— Crois-tu donc que le bonheur vienne de la pensée, répondit Albas. Il me semble que c’est la pensée qui vient du bonheur. »

Il se tut, réfléchissant ; puis il murmura :

« Les destins nous dispensent la joie ou la tristesse. La tris-