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Page:Adelswärd-Fersen - Le baiser de Narcisse, 1912.djvu/96

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LE BAISER DE NARCISSE


connaissaient le favori de l’Apoxyomène, criaient au miracle. Seul Milès demeurait silencieux, considérant son image qui dansait, sans paraître atteint par la vengeance de Briséis.

Car Briséis se vengeait. Depuis le soir où Ictinus les avait surpris, c’est en vain que la courtisane éperdue d’amour écrivait à l’éphèbe — chaque fois inventant de nouvelles ruses pour l’approcher. — Soit indifférence, soit lassitude, Milès ne lui avait point répondu, se contentant d’aller à certaines heures au Temple, durant lesquelles, nu et dédaigneux, il regardait Ictinus le rendre immortel. À le voir ainsi, à subir ses affronts, Briséis avait conçu une haine d’autant plus forte qu’était violent son désir. Elle cherchait, imaginait, trouvait. Et jetant sur le sable du cirque le vivant reflet de son ancien caprice, elle jouait merveilleusement la comédie tendre et passagère méprisée par Milès.

Scopas, inquiet, craignant le dépit de son favori, ne voulant point l’exposer à des comparaisons hésitantes, proposait à l’éphèbe de partir. Mais par un singulier retour sur lui-même, Milès à présent semblait s’intéresser à la pantomime et ne quittait plus l’autre des yeux.

Briséis, qui malgré la foule remuante et bigarrée avait réussi à découvrir Milès, le regardait maintenant, jolie, railleuse et désirable, avec son danseur dans les bras. Était-ce le défi qui luisait sur sa bouche ? était-ce souvenir, désir, passion, folie ? lentement Milès se levait de sa stalle de marbre et, sans qu’on ose l’arrêter, tant il était splendide, il descendit les degrés qui mènent aux arènes. Autour de lui, à son passage, des voix fusaient, criant : « Voilà Milès, le petit dieu d’argent ! »

Par contre on forçait l’Apoxyomène désespéré, à se rasseoir, et le peuple entier, frémissant, attendit… comme au jour où l’on jugea Phryné…