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Page:Adelswärd-Fersen - Messes noires ; Lord Lyllian, 1905.djvu/94

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LORD LYLLIAN

fièvre, dans quelle tourmente ! Jeunesse, naïveté, repos, bonheur, innocence, j’ai tout brûlé, j’ai tout cassé, j’ai tout perdu dans le brasier du monde, mu par on ne sait quelle sauvage ardeur ! Et puis après ? Peut-on demander à quelqu’un qui jette sa vie au feu, d’avoir souci d’une impertinence, d’un préjugé, ou d’un code ? Imbéciles et tartuffes, ne savez-vous donc pas que les chutes sont d’autant plus profondes que les essors sont plus élevés et plus puissants vers le ciel ?

« Le ciel !… je ne le vois plus que très lointain… à peine, barré par des grillages. Le ciel que j’aimais tant, le ciel et ses lumières, ses oiseaux, ses chansons, le ciel, cette patrie des poètes, n’illumine plus ni mes désirs, ni mes regards. Alors c’est l’accablement des défaites et les ténèbres, la déroute de l’ombre, la torpeur des solitudes, la nostalgie par dessus ces murs, par dessus ces toits, d’un tout petit coin de libre azur ! Oh, pitié ! pitié ! Pensez à moi, plaignez-moi, pardonnez-moi, faites un signe… La beauté sourit à la douleur, et votre jeunesse serait divinement consolatrice de mon infortune… Un mot ; un seul ! Dites-moi que vous vivez ! Mon Renold, mon Renold ! Les mots que j’ai murmurés, dans un baiser, à votre oreille, les phrases de langueur et d’adoration que je vous ai chantées doivent vibrer encore dans votre cœur… Que votre aurore rafraîchisse ma nuit !

« N’êtes-vous pas l’oiseau qui passe à tire d’ailes, la brise parfumée qui s’élève, le rêve étoilé qui me berce, n’êtes-vous pas le large, l’atmosphère, la liberté ?

« Que devenez-vous ? j’ai su, peu de temps après mon supplice, que vous étiez parti pour des terres inconnues, pour des rivages où l’on ne vous saura point.

« Puis un dernier fidèle a pu m’écrire, me rassurer et