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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

ils auraient compris qu’au bout de très-peu de temps, par une émulation de popularité, ces réunions retentissantes deviendraient frondeuses, agressives, et gêneraient le pouvoir dans tous ses mouvements. On a dit que le peuple français est un soldat ; cela est vrai, surtout si l’on ajoute que ce soldat est un rhéteur. Aucun sacrifice ne lui coûte, sauf celui de la parole. Dès qu’il ne croise plus la baïonnette, il lui faut croiser des épigrammes. Il y avait danger pour le cabinet à tolérer ce goût de discourir qui tourne si vite chez nous en passion. Il fallait que le roi et ses ministres eussent bien complètement perdu le sentiment de l’honnêteté politique pour ne pas prévoir qu’il devait se raviver dans l’agitation des banquets. Cependant, et j’insiste, parce qu’il serait aisé de se méprendre sur le sens véritable de la campagne réformiste, cette honnêteté soulevée ne menaçait encore que le ministère. La réforme, accordée au commencement de la session par M. Thiers, ou même par M. Molé, aurait pu retarder indéfiniment la chute du trône que la bourgeoisie n’entendait aucunement renverser. Ce fut en prolongeant le conflit entre elle et le pouvoir que l’on donna au peuple l’occasion de paraître en scène et de trancher, avec sa logique passionnée, le nœud inextricable de la politique parlementaire.