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HISTOIRE

huitième siècle, à la Révolution française, à Voltaire, à la Convention ; il maudissait le génie même des temps modernes[1].

Comment peindre l’effet produit sur la Chambre par ce fanatisme du moyen âge ? À chaque instant interrompu dans la fougue de sa parole par des acclamations frénétiques, l’orateur faillit, en descendant de la tribune, être étouffé dans le transport commun. De tous les bancs on se pressait sur son passage le chancelier ne contenait plus son enthousiasme ; sans égard pour des souvenirs de famille, le duc de Nemours, sortant de son caractère et de son rôle, s’avançait dans l’hémicycle, et venait serrer la main à M. de Montalembert. À partir de cette heure, de ce signal de détresse, la Chambre n’a plus qu’une pensée écarter au plus vite tous les obstacles qui pourraient entraver le ministère dans sa lutte contre le radicalisme. Elle vote, sans presque les discuter, tous les paragraphes de l’adresse, s’arrête au paragraphe sur les banquets tout juste assez de temps pour fournir à M. Duchâtel l’occasion de déclarer sa résolution de ne point transiger avec l’opposition, rejette en courant un amendement de M de Boissy tendant à faire retirer les épithètes aveugles et ennemies ; puis elle couronne par un vote de 144 voix contre 43 son œuvre conservatrice.

Depuis si longtemps le pays s’était accoutumé à regarder les décisions de la Chambre des pairs comme de pures formalités, qu’il ne prit pas la peine de censurer ce vote. Les

  1. Ancien disciple de l’abbé de Lamennais, M. de Montalembert avait conservé longtemps, de cette haute influence subie, la persuasion que les principes et les intérêts bien compris de l’Église catholique étaient dans une alliance étroite avec les principes et les intérêts de la liberté moderne. Mais, soit que l’expérience et la réflexion eussent à cet égard modifié ses idées ; soit que, le fantôme de 93 lui étant apparu, il eût soudain abjuré au-dedans de lui les nouveautés dangereuses du catholicisme libéral, il ne sut plus trouver en ce jour de colère qu’invectives et sarcasmes pour tout ce qui s’inspirait de l’esprit démocratique.