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HISTOIRE

était creusée, au dessous de laquelle une large vasque recevait les eaux de la fontaine. Sur une plaque en marbre noir, on lisait, tracée en caractères d’or, cette inscription :

Quantos effundit in usus

Une porte étroite et basse, revêtue de lames de fer, ouvrait sur le perron de ce monument tout noirci par le temps. Les fenêtres, munies d’une double rangée de barreaux, avaient été garnies d’épais volets en chêne, troués de meurtrières. C’était une citadelle imprenable. Le canon seul aurait pu endommager ces épaisses murailles et enfoncer ces portes massives.

Cependant, les insurgés, qui ne rencontraient plus nulle part de résistance, affluaient en masse vers le Palais-Royal. Ils avaient construit, dans toutes les rues avoisinantes, d’énormes barricades et cernaient complètement le Château-d’Eau. Animé par les républicains, qui craignaient de marcher sur les Tuileries en laissant sur leurs derrières une position aussi forte, le peuple, instruit, d’ailleurs, que les soldats renfermés dans le poste appartenaient au 14e de ligne, s’exaltait au souvenir du massacre de la veille. On disait que des gardes municipaux étaient là aussi[1], qu’ils gardaient des prisonniers en grand nombre ; mille bruits confus montaient les têtes, tout se préparait à un formidable assaut. Quelques gardes nationaux s’efforçaient de calmer l’effervescence populaire, et parlementaient, mais en vain, avec la troupe, pour obtenir l’évacuation du poste. Debout, en travers de l’unique porte de la façade, un lieutenant, jeune homme d’une intrépidité héroïque, résistait à la pression des assaillants et demeurait sourd aux prières des chefs républicains, Étienne Arago et Charles Lagrange.

  1. Il était resté, en effet, dix gardes municipaux avec les soldats de la ligne au nombre de cent. Quarante-huit prisonniers faits dans la nuit, amenés au poste du Château-d’Eau par le 14e de ligne, avaient été conduits, vers cinq heures du matin, à la caserne de la rue de Rivoli, où ils furent mis en liberté.