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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

Palais-Royal où ils entendaient la fusillade. Une multitude innombrable, hommes, femmes, enfants, ouvriers, gardes nationaux, accourus de tous les points de Paris, se ruait sur ce dernier théâtre de la lutte. C’était comme un grand tourbillon humain qui remplissait l’air de clameurs. Les roulements du tambour qui battait la charge, la détonation des armes à feu, le sifflement des balles, le cri des blessés, des voix vibrantes qui chantaient la Marseillaise en courant à la mort, la fumée épaisse qui enveloppait cette scène inouïe, donnaient le vertige à qui tentait de s’en approcher.

Cependant, parvenu à l’angle de la place, le général Lamoricière s’efforçait de se frayer un passage. « Vive Lamoricière ! » criaient les uns. « Ce n’est pas lui, il est en Afrique, c’est un espion ! » criaient les autres. Ce mot seul pouvait le faire massacrer. Son uniforme incomplet et d’emprunt prêtait à la méprise ; toutefois, les baïonnettes et les pistolets braqués sur sa poitrine ne le faisaient ni reculer ni pâlir. Mais ni sa voix, ni ses gestes n’avaient la puissance de dominer une pareille rumeur ; c’eût été folie de l’espérer. Le général ne pouvait se résoudre, néanmoins, à retourner sur ses pas, car il sentait que le sort de la royauté dépendait peut-être encore de quelques paroles favorablement accueillies ; il s’épuisait en signaux ; il ne cessait d’agiter en l’air son chapeau, son mouchoir ; mais comme il demeurait à la même place sans avancer ni reculer, pressé qu’il était par une masse de peuple, une balle vint frapper son cheval qui se renversa sous lui. Atteint lui-même, presque au même instant, d’un coup de baïonnette au bras, il fut enlevé aussitôt par quelques hommes du peuple qui, le protégeant de leurs corps, le portèrent chez le marchand de vin à l’angle de la rue de Chartres, où le docteur Pellarin avait établi une ambulance. On y pansa avec le plus grand soin sa blessure, puis on le fit sortir par une porte de derrière et on le ramena chez lui, où il apprit bientôt que c’en était fait de la monarchie.

De son côté, le maréchal Gérard n’était pas plus heu-