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HISTOIRE

tance, venait M. Dupont (de l’Eure), que son grand âge empêchait de marcher, et que l’on avait fait monter dans un cabriolet de place[1]. M. Crémieux ne tarda pas à le rejoindre. On s’avance ainsi, quatre de front, précédés de deux tambours, par le quai d’Orsay, dans la direction de l’Hôtel de Ville.

Le cortége n’était pas considérable ; il se composait de six cents personnes au plus. La foule, qu’attirait la curiosité, et qui questionnait sur les événements accomplis, tout en se découvrant, et en criant, à l’instar des insurgés : Vive Lamartine ! vive Dupont (de l’Eure[2]) ! vive le gouvernement provisoire ! ne donnait pas non plus l’idée d’une force capable de résister à la moindre attaque. Et cette attaque, tout la rendait probable. Les régiments, dont on apercevait encore des escadrons et des bataillons défiler en bon ordre de l’autre côté de la Seine ; les forts au pouvoir de la royauté ; le maréchal Bugeaud et les jeunes princes brûlant, sans doute, de prendre une prompte revanche sur le peuple ; la garde nationale reconnaissant enfin qu’elle avait été jouée par les républicains et se rangeant autour de la régente ; les pairs et les députés réunis à ses côtés et reconstituant en un clin d’œil la représentation constitutionnelle : c’étaient là des perspectives peu rassurantes pour les chefs politiques que l’insurrection venait de se donner. M. de Lamartine, tout en marchant résolument vers l’Hôtel de Ville, songeait à ces éventualités imminentes. Les scènes

  1. Son fils, en uniforme de garde national, était, avec lui. Au sortir de la Chambre, M. de Larochejacquelein avait offert sa voiture mais elle ne fut point acceptée.
  2. « Qui est celui-là ? » demandait un homme du peuple à une personne qui marchait à côté de la voiture de H. Dupont (de l’Eure). Et lorsqu’on l’eut nommé : « Ah ! c’est vous qui êtes l’honnête Dupont (de l’Eure) ! » s’écria naïvement l’ouvrier en montant sur le marchepied pour lui tendre la main. Et le vieillard ému, promenant sur la foule les regards pleins d’appréhensions, répétait d’une voix affaiblie par l’âge : « Pas de guerre civile, mes enfants, surtout pas de guerre civile »