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INTRODUCTION.

vait de lui et au pays qui se laissait conduire. Tout, dans ce partisan opiniâtre de la paix et de l’alliance anglaise, blessait le génie de la France. En acceptant sa domination elle subissait en quelque sorte un joug étranger.

Ce fut la supériorité et la fortune de M. Thiers, pendant sa longue lutte avec M. Guizot, d’être éminemment français par l’esprit, par le cœur, par l’instinct et par la volonté. Les allures libres et souples de sa personne, de son intelligence, de son talent forment avec le dogmatisme et la roideur de ce dernier un frappant contraste. À la tribune, comme dans les conseils, M. Thiers ne s’imposait pas, il s’insinuait. Il y a de la volonté mais point d’autorité dans les lignes carrées de son visage. Un front ouvert, un œil vif et doux, les lignes fines d’une bouche qu’effleure au moindre propos le sourire d’une malicieuse bonhomie, la mobilité expressive d’une physionomie bienveillante, un débit animé, une phrase limpide, une verve naturelle et soutenue, exerçaient un charme d’une nature particulière, mais dans lequel il n’entrait ni admiration ni respect. M. Thiers a des ouvertures d’esprit si faciles que chacun, croyant le pénétrer tout à l’aise, se laissait, sans défiance, pénétrer par lui. Un don merveilleux, qui parfois supplée le génie, lui livrait en quelque sorte la pensée d’autrui ; il s’en emparait, se l’appropriait, la rendait sienne. Son activité infatigable et sa promptitude de conception lui avaient d’ailleurs fait parcourir presque en entier le cercle des connaissances acquises à notre époque.

L’ascendant de Talleyrand, que M. Thiers subit dans