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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

nication grave. En effet, après un long et pénible silence, M. Goudchaux, très-oppressé, très-ému, fit, en s’interrompant à plusieurs reprises, tant il avait peine à se contenir, un expose de la situation qui jeta dans tous les esprits le trouble auquel il était lui-même en proie. Il se plaignit avec amertume des effets dangereux de certaines prédications ; il protesta contre des mesures qui, répandant l’effroi dans toutes les classes de la société, paralysaient le crédit et le mouvement des affaires. Il conclut enfin en montrant la ruine certaine et sans proposer un seul remède.

Personne n’éleva la voix pour lui répondre. La consternation était profonde. « Serait-ce vrai ? murmura enfin M. de Lamartine, en se penchant vers M. Garnier-Pagès. Sommes-nous perdus, irrévocablement perdus ? » Et cette interrogation effrayante, chacun se l’adressait intérieurement avec une inexprimable angoisse. Lorsqu’on fut un peu revenu de la première stupeur, les membres du conseil proposèrent successivement plusieurs mesures ; mais toutes, à la discussion, parurent dangereuses ou vaines. La banqueroute fut tout d’abord écartée. Mieux valait, disait-on, courir, tous les périls que d’infliger à la République un tel opprobre. Pour sauver l’honneur du pays rien ne devait sembler impossible.

M. Goudchaux, insistant sur la nécessité de couper court aux bruits alarmants qui circulaient et de ranimer la confiance publique qui pouvait seule encore sauver le gouvernement, proposa d’anticiper le payement du semestre des rentes, échéant le 22 mars ; sa proposition fut accueillie. Mais cette espèce d’ostentation à devancer un payement à échoir, quand on était en si grande peine de faire face aux engagements échus, n’était pas de nature à donner le change ni rassurer personne ; tout au contraire. En voyant la réserve ainsi diminuée, les porteurs de billets de banque s’effrayèrent davantage ; la crise métallique, au lieu de s’arrêter, s’aggrava. La Bourse, que M. Ledru-Rollin avait espéré faire ouvrir dès le 26 à 60 et à 100, n’avait pu repren-