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HISTOIRE

tant la nomination du comte Louis Batthiànyi en qualité de premier ministre chargé de former un ministère indépendant pour les affaires de Hongrie. L’archiduc Étienne devenait vice-roi. La séparation politique et administrative de la Hongrie était implicitement prononcée. Cette nouvelle concession de la cour avait encore exalté les Viennois. Kossuth cependant était loin de s’abandonner à l’allégresse générale. Cette satisfaction immodérée lui semblait de mauvais augure. « Ce peuple croit avoir accompli la révolution, disait-il à ses compatriotes ; il ne se doute pas qu’il ne fait que la commencer. »

À peu de jours de là, l’insurrection de Milan venait donner raison à ce pressentiment du génie. Le caractère de cette insurrection n’eut rien de commun avec ce qui venait de se passer à Vienne. Autant la population viennoise inclinait par nature, par coutume, par la douceur d’un joug traditionnel que l’affabilité de ses princes savait lui déguiser, à l’indolence politique et au respect des volontés royales, autant la haine des Lombards pour la domination étrangère était profonde et irréconciliable. Le gouvernement allemand, établi en Lombardie par les traités de Vienne, était trop contraire au génie de la nation italienne pour que, même bienfaisant et magnanime, il ne dût pas rencontrer dans la seule antipathie des races des obstacles presque insurmontables. Mais loin de chercher à gagner le cœur du peuple par ses bienfaits, il n’avait pas même essayé de se faire accepter de la classe riche par ces ménagements habiles, par ces condescendances superficielles auxquelles la noblesse oisive et démoralisée de notre temps se laisse partout si facilement prendre. Le gouvernement autrichien avait affecté à Milan et à Venise des allures de conquérant. Non content d’opprimer, il avait humilié ses nouveaux sujets. À toutes les lois prohibitives, aux impôts excessifs qui pesaient sur les fortunes, à une conscription odieuse qui enlevait la fleur de la jeunesse pour l’envoyer au loin dans des pays inconnus, aux lenteurs calculées de l’admi-