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HISTOIRE

allait s’arrêter dans la voie fatale où elle s’était trop légèrement engagée. Pendant que la feuille semi-officielle trahissait ainsi la pensée de la cour, toutes les autres feuilles périodiques demandaient d’un commun accord la liberté de la presse et la convocation immédiate des états-généraux. Les hommes les plus considérables de l’opposition libérale appuyaient ces instances auprès de Frédéric-Guillaume. Mais ni le vœu public, ni l’avis des plus honnêtes gens de son royaume, ni l’exemple de Louis-Philippe, ne furent pour le roi de Prusse un avertissement suffisant. Gagner du temps lui parut la seule chose à faire dans des conjonctures où il fallait, au contraire, devancer l’opinion et donner au plus vite de l’espace à la liberté. Aux sérieuses demandes qui lui étaient adressées, il répondait évasivement « que, sans aucun doute, il était disposé à y faire droit, mais qu’il jugeait convenable d’attendre les mesures générales de la Diète germanique. » En même temps, on concentrait par son ordre des troupes nombreuses à Berlin, à Potsdam, et M. de Radowitz partait pour Vienne afin de concerter avec le gouvernement autrichien les mesures propres à étouffer dans son germe le mouvement révolutionnaire.

De son côté, le prince de Prusse, chef déclaré de l’opinion absolutiste et grand partisan du gouvernement russe, flattait la vanité des officiers de l’armée et prenait à tâche de distraire l’opinion publique, en annonçant d’un ton provocateur la guerre contre la France. Mais une si pauvre tactique allait recevoir un prompt châtiment. Les rassemblements populaires, brutalement dissipés à plusieurs reprises par la troupe, se reformaient avec obstination et grossissaient d’heure en heure. On y tenait des discours politiques ; on y signait des pétitions, des adresses. Les députations municipales et provinciales qui arrivaient de tous côtes, des provinces du Rhin, de Breslau, de Kœnigsberg, montraient l’unanimité de ce mouvement constitutionnel dont l’expression était encore aussi légale qu’éner-