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HISTOIRE

La disposition éminemment bienveillante et accessible de son esprit paraît dans la manière charmante dont il a raconté lui-même sa première entrevue avec M. Blanqui[1]. Un officier de marine, appartenant à l’école phalanstérienne, M. de Flotte, avait conduit au ministère des affaires étrangères le terrible conspirateur. À ce moment-là, des accusations formelles, des bruits sinistres, des soupçons de toute nature et le fanatisme redoublé de ses adeptes qui parlaient tout haut de le venger par l’assassinat, faisaient à Blanqui comme un cortége invisible d’épouvantements. On le disait, on le croyait capable de tout, prêt à tout. Chaque jour M. de Lamartine était averti que dans la nuit suivante il serait enlevé, enfermé dans quelque lieu inconnu, tué peut-être par les partisans de Blanqui. Ses amis ne le quittaient plus ; ils veillaient armés aux abords de sa chambre, disposant tout dans l’hôtel et dans le jardin, soit pour soutenir un siége, soit pour faciliter une évasion. Les domestiques, malgré les plaisanteries de M. de Lamartine, étaient en proie à l’anxiété la plus grande. Qu’on se figure la stupéfaction de cette petite troupe de fidèles, amis et serviteurs, quand, dans la matinée du 15 avril, un homme vêtu misérablement et de visage très-sombre, suivi de deux ou trois personnes inconnues, vient demander à l’huissier des affaires étrangères de l’annoncer à M. de Lamartine, et déclare se nommer Blanqui. Une telle audace avait de quoi confondre ; mais l’étonnement est au comble, lorsqu’au bout de deux minutes on voit la porte du cabinet du ministre s’ouvrir et se refermer aussitôt sur celui que l’on regardait comme son assassin.

L’entretien se prolongea de façon à donner lieu aux interprétations les plus étranges ; ce qu’il fut en réalité, je doute que personne le sache avec exactitude. Une chose certaine, c’est que l’impression qu’en rapporta M. de Lamartine, et qu’il communiqua le soir même à des per-

  1. Histoire de la Révolution de 1848. t. II, p. 232 et suivantes.