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HISTOIRE

ment, les légions de la rive gauche, arrivées par le pont Saint-Michel, coupent la manifestation. La place entière est hérissée de baïonnettes. Le général Duvivier, à cheval au milieu de ses bataillons de gardes mobiles, défend l’abord de la maison commune. Un cri formidable de À bas les communistes ! s’élève de cette forêt de baïonnettes et retentit longtemps. Les ouvriers, resserrés, ne pouvant plus ni avancer ni reculer, ne comprenant pas, pour la plupart, cet appareil de guerre opposé cette fois à une manifestation toute semblable à celle pour laquelle le gouvernenement leur adressait, il y a un mois, des remercîments publics, restent déconcertés.

Les cris de la garde nationale : À bas Blanqui ! à bas Louis Blanc ! à bas Cabet ! à l’eau les communistes ! redoublent et étouffent la voix de ceux qui essayent de se faire entendre. Cependant, l’ordre est donné d’introduire les délégués du peuple, mais on ne les fait point entrer dans la salle du conseil. Les trois adjoints, MM. Recurt, Buchez, Edmond Adam, les reçoivent dans les salles supérieures, écoutent la pétition qu’ils apportaient avec une froideur glaciale, et y répondent par des paroles d’une sévérité extrême[1].

Les délégués vont se plaindre à M. Louis Blanc. Celui-ci, accablé en voyant la déroute de cette marche des prolétaires qu’il avait voulue triomphale ; isolé, suspecté, presque honni par la garde nationale, retrouve cependant quelque vivacité de colère pour reprocher à ses collègues l’accueil fait aux ouvriers et pour ordonner au colonel Rey de faire ouvrir un large passage sur la place de Grève, afin que le défilé des corporations puisse se faire avec convenance et dignité. L’ordre est, en effet, donné immédiatement de laisser les ouvriers défiler devant le gouvernement provisoire ; mais il est exécuté de façon que la manifestation perde tout son caractère. On lui trace entre deux rangs,

  1. Voir aux Documents historiques, à la fin du volume, no 10.