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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

sans étude et sans expérience, traitèrent, à l’aventure, sans préparation, sans réflexion, les plus graves questions de droit politique, les ramenant toutes à je ne sais quelle doctrine de l’infaillibilité du peuple qui rendait superflu l’exercice de la raison individuelle. Le mot même de peuple prit dans leur bouche une acception étroite et ne signifia plus que le prolétariat industriel[1]. Ils accoutumèrent les masses à se payer de paroles sonores et vides, les abusant, les égarant par de détestables adulations. Quand vint le moment où le peuple dut exercer son droit de citoyen et faire acte de souveraineté légale, ils se mirent à ébranler par avance le respect de la représentation nationale et répandirent cette idée subversive qui rendrait à jamais impossible l’établissement de l’état démocratique : que si le résultat des élections ne convenait point au peuple de Paris, il lui appartenait d’en faire bonne justice et de se débarrasser, comme il l’entendrait, des élus du suffrage universel, des représentants de la France.

Un nombre infini de journaux, plagiaires jusque dans les titres qu’ils prenaient, ne secondèrent que trop cette action des clubs. Pour frapper l’oreille des passants et pour flatter les curiosités dépravées, les feuilles colportées et criées sur la voie publique rivalisaient de cynisme et de violence[2]. Les partis hostiles à la République se servirent de ce moyen abject de propagande et, comptant sur la crédulité des masses, ils dressèrent leurs embûches dans ce terrain fangeux de la démagogie. Quelques journaux bonapartistes essayèrent de réveiller dans le peuple le souvenir des gloires impériales, afin de préparer l’élection du prince

  1. Cette antithèse créée par la presse et les clubs en 1848, entre le mot peuple et le mot bourgeois, n’existait pas dans la première révolution. On disait alors la la nation et les citoyens. Le mot peuple pris pour la masse ne fut adopté qu’à la fin de l’Assemblée législative, et encore ne fut-ce jamais pour désigner exclusivement le prolétariat.
  2. Il y en eut pendant les quatre mois que dura la liberté illimitée, jusqu’à 200. (Voir aux Documents historiques, à la fin du volume, no 3.)