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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

L’instinct social a trouvé chez nous sa première expression dans la possession du territoire. L’idée de patrie s’est attachée au sol conquis et possédé exclusivement par la noblesse guerrière : la royauté féodale a été le gouvernement naturel et légitime de ce premier état. La propriété héréditaire du sol, exempte de travail, défendue par les armes, c’est l’institution primitive et génératrice de la société française. La voix de Dieu parlait alors exclusivement par la bouche du seigneur, de son chef, le roi, et par celle de leur consécrateur à tous deux : le prêtre.

Mais peu à peu, le travail et l’industrie, concentrés aux mains des bourgeois et des manants, créèrent des richesses considérables. À côté de la propriété foncière, s’éleva la propriété des capitaux mobiliers. Les communes se rachetèrent de la domination des seigneurs. Une longue lutte s’engagea pendant laquelle l’instinct social de la bourgeoisie, de plus en plus énergique, arriva à se connaître lui-même et devint capable de gouvernement. En 1789, il se sentit assez fort pour briser, pour expulser les derniers restes de la féodalité. La voix de Dieu parla par la bouche du tiers-état. Le droit du travail fut glorieusement institué dans les lois sur les ruines du droit de conquête.

Le gouvernement constitutionnel correspondait exactement à ce droit nouveau de la richesse acquise par le travail ; mais ce droit se montra jaloux, exclusif, comme l’avait été le droit de possession par la conquête ; la bourgeoisie n’eut en vue qu’elle seule. Elle fit conspirer toutes les lois à un but égoïste : « La défense du riche contre le pauvre, de celui qui possède quelque chose contre celui qui n’a rien[1]. » Elle marqua nettement son règne par l’établissement du cens qui traçait avec un cynisme insolent les limites du pays légal et créait pour les enrichis l’aristocratie de la patrie.

  1. Adam Smith, liv. I et V.