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HISTOIRE

l’ordre à la troupe de ne pas s’opposer au passage du peuple, et l’on voit, en effet, presque aussitôt, un mouvement de la garde mobile qui met la baïonnette dans le fourreau.

Néanmoins, la multitude hésite à s’approcher du pont ; elle semble avoir le sentiment confus que, si elle le traverse, elle sera entraînée au delà de ce qu’elle a entendu faire ; on dirait qu’elle comprend que franchir cette dernière limite, ce sera, en quelque sorte, insulter à l’Assemblée nationale. Mais à ce moment décisif une voix stridente crie : En avant ! c’est Blanqui qui commande. En voyant la manifestation si nombreuse et les apprêts de la défense si peu redoutables, il a pris confiance dans le succès. Son instinct révolutionnaire l’emporte ; son club le suit avec entraînement, l’ébranlement est donné, la foule passe le pont, se répand sur les quais ; une partie escalade les grilles du péristyle sous les yeux de la garde mobile qui rit de ce tumulte ; l’autre se pousse, par la rue de Bourgogne, vers la place sur laquelle donne l’entrée principale du palais : la représentation nationale est à la merci du caprice populaire.

La séance s’était ouverte à l’heure accoutumée ; rien n’indiquait dans l’aspect de la salle qu’on s’attendît à quelque événement. Les tribunes étaient garnies de femmes élégantes et de curieux auxquels la pensée d’un danger quelconque n’était pas venue.

Par une coïncidence singulière, cette séance, qui allait devenir si orageuse, s’ouvre par une protestation contre le bruit des affaires publiques[1]. Béranger, le chansonnier philosophe, en adressant, pour la seconde fois, sa démission à l’Assemblée, la supplie de le rendre à l’obscurité de la vie privée. Après la lecture de cette lettre et l’acceptation de cette démission, on entend les interpellations de M. d’Aragon sur les affaires d’Italie.

  1. Voir la lettre de Béranger, Moniteur du 16 mars