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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

attaquant ces signes de distinctions ridicules, ces hochets de la vanité. Ces expressions qui rappellent l’opposition que fit, en 1802, le conseil d’État lors de la création de la Légion d’honneur[1], ce sentiment qui est celui des nations anglaises et américaine, irrite au plus haut degré la fibre si chatouilleuse en France de la vanité militaire. À partir de ce jour, M. Clément Thomas se voit en butte aux colères les plus violentes ; on le honnit comme un blasphémateur de l’honneur national. Lorsqu’il paraît sur la place de la Concorde pour dissiper les rassemblements, les gardes nationaux le reçoivent en criant : À bas Clément Thomas ! vive la Légion d’honneur ! L’Assemblée ne se montrant guère plus favorable pour lui, il comprit qu’il ne pouvait plus garder son commandement, et deux jours après il envoya sa démission.

Comme on en était là, inquiet, perplexe, chacun se demandant ce qui allait sortir de ces hostilités entre le peuple et l’Assemblée nationale, entre les différents partis dans l’Assemblée, entre l’Assemblée et la commission exécutive, entre la commission exécutive et le prince Louis-Napoléon ; quand tous les esprits sont livrés à l’appréhension d’un danger indéfini, mais imminent, une nouvelle lettre de Louis Bonaparte au président de l’Assemblée vient en apparence mettre fin à tout, en apportant un dénoûment pacifique à la crise où l’on s’était engagé sans trop la comprendre.

« J’étais fier d’avoir été élu représentant du peuple à Paris et dans trois autres départements, disait Louis-Napoléon ; c’était à mes yeux une ample réparation pour trente ans d’exil et six ans de captivité ; mais les soupçons inju-

  1. Le conseiller Berlier ayant dit, en propres termes, que ces sortes de distinctions étaient des hochets de la monarchie : « C’est avec des hochets que l’on mène les hommes, » avait répondu le Premier Consul. L’historien Anquetil refusa la décoration, déclarant que « tout chef de gouvernement se rend coupable en établissant des distinctions sociales, et tout citoyen en les acceptant ! »