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HISTOIRE

La masse populaire est arrivée par le boulevard à la hauteur de la rue Saint-Denis. Là, on s’arrête ; un moment de silence se fait ; puis tout à coup : « Aux armes ! aux barricades ! » crient les chefs. Aussitôt ils se mettent à l’œuvre. Ils tracent, en enlevant rapidement quelques pavés, les principales lignes de retranchement ; ils ne semblent pas inquiets ; ils ne craignent pas apparemment qu’on vienne les surprendre, car ils procèdent avec ordre et méthode. Ce sont pour la plupart d’anciens soldats, aujourd’hui brigadiers des ateliers nationaux. On les reconnaît au galon doré de leur casquette, à leur brassard tricolore. Tous portent la blouse des ouvriers ; un mouchoir lié autour des reins leur sert à la fois de ceinture et de cartouchière.

À dix heures et demie, une première barricade est construite sur le boulevard Bonne-Nouvelle, une autre à vingt-cinq pas plus loin, une troisième en face de la rue Mazagran. On y plante les drapeaux tricolores des ateliers nationaux, dont plusieurs portent cette inscription : Du pain ou la mort ! Le poste du boulevard Bonne-Nouvelle, qui compte à peine une vingtaine de gardes nationaux, n’a reçu aucun ordre et ne peut songer à s’opposer à quelques

    voit la famille du mort qui s’est réunie pour lui rendre visite et lui porter quelque présent. L’un vient planter un rosier en fleurs sur la terre consacrée ; un autre attache une couronne d’immortelles à la croix qui en marque le centre ; celui-ci y suspend quelque emblème peint, un cœur, une pensée, etc. Chacun s’est vêtu de ses meilleurs habits. L’enfant mange en silence un gâteau qu’on lui achète sur le chemin afin qu’il soit sage ; on est sérieux, ému, mais point trop affligé. La pensée d’une longue absence attriste les imaginations, mais la crainte d’une séparation éternelle n’en approche pas, moins encore celle des peines de l’enfer. L’idée de destruction, de néant ne serait pas même comprise.
    J’ai quelquefois entendu de pauvres gens exprimer d’une manière touchante, en passant auprès d’un caveau de famille, le regret de ne pouvoir, eux aussi, rester unis dans le repos de la mort, comme ils l’avaient été dans le travail de la vie. Je conseille à tous ceux qui veulent bien connaître le peuple de Paris de passer de temps en temps quelques heures, le dimanche, au cimetière du Mont-Parnasse, par exemple.