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HISTOIRE

M. Pinel-Grandchamp, s’adressant au commandant, le conjure de ne pas engager la lutte. Il témoigne des dispositions pacifiques de son arrondissement ; il affirme que les barricades seront, avant peu, abandonnées de plein gré, pourvu que le sang ne coule pas. Les officiers, qui n’ont nulle envie de commencer la guerre civile, se laissent persuader, et la colonne retourne sur ses pas.

En voyant ses ordres inexécutés, M. Arago s’irrite et décide aussitôt de marcher en personne sur les barricades. Il renforce sa colonne d’un escadron de dragons, de deux détachements d’infanterie, emmène deux pièces de canon ; il arrive ainsi, vers midi, sur la place, en vue d’une barricade qui ferme la rue Soufflot. Il s’avance seul, à une assez grande distance de la troupe, et fait signe qu’il veut parler. M. Pinel-Grandchamp vient à sa rencontre. Deux ou trois chefs d’insurgés sont debout sur les pavés amoncelés, le fusil en main. Des groupes d’ouvriers, à droite et à gauche, suivent des yeux tous les mouvements de leurs chefs. On fait silence. M. Arago demande à ces hommes pourquoi ils se révoltent contre le gouvernement de la République ; comment il se peut faire que de bons citoyens s’insurgent contre la loi, qu’ils aillent aux barricades… « Vous y étiez avec nous en 1832 ! lui crie une voix. Souvenez-vous du cloître Saint-Merry ! — Monsieur Arago, vous êtes un brave citoyen, reprend un autre insurgé avec beaucoup de politesse ; nous sommes, pour vous, pleins de respect, mais vous n’avez pas le droit de nous faire des reproches. Vous n’avez jamais eu faim ; vous ne savez pas ce que c’est que la misère. »

M. Arago continue. Il leur parle avec éloquence des bonnes intentions du gouvernement, de son extrême désir de satisfaire à leurs vœux légitimes. « On nous a tant promis et l’on n’a rien fait, » reprend un homme en blouse, qui se sent ému malgré lui, en présence de ce vieillard courageux, dont le front et le regard sont animés de la double flamme du patriotisme et du génie. « On a fait ce qu’on a pu, »