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DOCUMENTS HISTORIQUES.

par conséquent tous deviennent frères, et que par cette raison nul frère ne peut s’élever sur son frère.

Les anciens juges ont dit : « Quiconque veut s’agrandir s’abaissera. »

Vous avez fait dans ce monde ce qui sera dans l’éternité pour tous les mortels devant le Tout-Puissant. Tous les hommes sont fils d’Adam, et Adam est né du limon. La nation qui est unie, et dont les intérêts sont soumis à l’examen et à l’opinion de tous, est celle qui sans contredit est la plus forte, parce que, par les conseils donnés par tous, il est rare de faillir, tandis que le conseil d’un seul entraîne souvent l’erreur.

Les anciens sages ont dit : « Celui qui ne consulte que son opinion glisse et tombe. »

Dieu, dans le sublime livre du Coran, a chéri les hommes qui sont doués de tels sentiments ; il a dit : « Leurs actions doivent être toujours conformes à leurs opinions prises en masse. »

Aujourd’hui vous êtes des hommes de grand cœur, compatissants ; vous aimez le bien et ne jugez que par la légalité. Dieu vous a placés où vous vous trouvez pour être les protecteurs de l’infortune et des affligés : Je suis un de ceux-ci, et je suis malheureux, et je demande de vous et de votre justice d’arracher l’affliction qui m’oppresse.

Si je n’ai point obtenu justice par le passé, je dois l’obtenir maintenant, puisque vous êtes les auteurs de l’état de choses qui ne veut plus ni injustice ni oppression.

Je n’ai rien fait qui puisse être blâmé par des hommes sages comme vous l’êtes.

J’ai défendu mon pays par tous mes moyens ; j’ai la conviction que par cette raison vous m’estimez. Quand j’ai été vaincu et que Dieu ne m’a pas donné l’avantage, j’ai songé à tranquilliser mon âme en renonçant aux choses de ce monde ; et quoiqu’il me fût possible de me rendre dans le pays des Berabers (Maroc) ou dans le Sahara, j’ai préféré pour mon âme sa remise entre les mains des Français. Je désirai être envoyé par les Français dans le pays que je choisirais ; dans mon esprit, et parmi toutes les nations musulmanes et chrétiennes, j’ai donné à la nation française la préférence pour l’inviolabilité d’une parole donnée.

J’ai demandé au général Lamoricière de me faire transporter à Alexandrie, pour de là me rendre à la Mecque et à Médine ; je l’avais prié de ne pas me faire passer ni par Oran ou Alger, ni par Toulon ou tout autre port de France ; je lui avais demandé de m’embarquer à Djemà Ghazaouat pour me rendre directement à Alexandrie, et, pour l’accomplissement de ces demandes, je demandai une parole française ; c’est ce qu’il a fait en m’adressant un écrit en arabe qu’il a signé en français et revêtu de son cachet écrit de la même langue.

Quand cet écrit m’est parvenu, et dans la conviction que la parole des Français est inviolable, je me suis rendu à lui. S’il m’avait dit : Je ne puis pas vous promettre ce que vous me demandez, je ne me serais point rendu.