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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

aussi bien contre les usurpations du pouvoir royal que contre les invasions de la force populaire, portait une atteinte profonde à l’orgueil et à la sécurité des classes riches. Par décret du 27 février, le gouvernement provisoire avait déclaré que tout Français majeur faisait partie de la garde nationale ; le 14 mars, sur la proposition du ministre de l’intérieur, il avait prononcé le changement des anciens cadres, la dissolution des compagnies d’élite, grenadiers et voltigeurs[1], et fixé au 18 avril l’élection des nouveaux officiers par le suffrage universel. Ce décret était tout à la fois le plus régulier dans la forme et le plus révolutionnaire dans le fond de tous ceux qu’eût encore rendus le gouvernement ; ce n’était ni plus ni moins que l’armement légal du prolétariat et sa prépondérance organisée dans une institution dont le caractère et l’esprit primitif avaient été de le combattre. La bourgeoisie sentit le coup qui lui était porté : le sentiment d’égalité jalouse et le principe du droit démocratique qui l’avaient animée pendant sa longue lutte contre la noblesse et contre la royauté semblaient tout à coup taris en elle du moment qu’elle se voyait forcée d’en étendre au peuple les conséquences. La féodalité industrielle ne voulut pas comprendre qu’à son tour il lui fallait renoncer à ses priviléges. La garde nationale se révolta à la pensée de l’égalité dans l’uniforme et, sans prendre souci de l’exemple détestable qu’elle donnait à la multitude, elle se répandit en murmures contre le gouvernement.

De son côté, M. Ledru-Rollin venait de fournir un motif spécieux aux murmures de la bourgeoisie. Nous l’avons laissé au ministère de l’intérieur donnant aux commissaires envoyés dans les départements ses premières instructions. Comme ces instructions se trouvaient insuffisantes en pré-

  1. Les gardes nationales avaient été jusque-là composées : 1o de chasseurs qui formaient la masse des soldats ; 2o de voltigeurs ; 3o de grenadiers. Les voltigeurs et les grenadiers, recrutés parmi les habitants les plus considérables, formaient deux compagnies d’élite qui portaient des signes distinctifs et constituaient dans les rangs de la garde civique une espèce d’aristocratie bourgeoise.