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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

ment. Entre tous les clubs, le club Blanqui avait la faveur des curieux de cette trempe. Les loges et les galeries où, dans les années précédentes, une société d’élite venait entendre avec recueillement les chefs-d’œuvre de l’art musical, la Symphonie pastorale, le Requiem ou l’ouverture d’Euryanthe, étaient chaque soir envahies par un public singulièrement mélangé et tapageur. Les femmes du monde, sous des vêtements plus que modestes, s’y glissaient furtivement, protégées par la lumière crépusculaire des quinquets où l’huile était parcimonieusement mesurée. On se reconnaissait de loin, on se saluait d’un signe rapide, perdu qu’on était dans cette foule en blouse et en veste que l’on croyait armée et qui s’amusait souvent, danses harangues et ses apostrophes, à qualifier les riches d’une façon peu flatteuse, à les menacer, à leur prédire, s’ils osaient lever la tête, un châtiment exemplaire.

Le club de la Révolution avait un caractère tout différent. M. Barbès attirait à lui, non par art ni par effort de volonté, mais par l’ascendant naturel d’une âme honnête ; ce qu’il y avait dans la Révolution de mieux intentionné et de plus droit. Des hommes plus doués que lui de talent et de capacité rendaient hommage à sa supériorité morale. Il était en vénération au peuple. Le rare accord de ses actes et de ses paroles dans tout le cours d’une vie jetée à la tourmente révolutionnaire, la dignité parfaite qu’il avait su garder toujours dans les échecs de ses tentatives, dans les dissensions de son parti, devant ses juges, devant ses geôliers, devant la mort qu’il vit de près en plus d’une rencontre donnaient à Barbès une autorité toujours croissante dans le déclin d’une fortune de plus en plus contraire. On ne lui demandait pas compte de ses doctrines. On ne s’inquiétait pas de savoir s’il avait ou non de la prudence et du discernement. La pureté de ses intentions, la candeur et le dévouement qu’il portait dans des entreprises nuisibles sa propre cause, lui tenaient lieu de tout dans l’esprit des masses et forçaient au respect ses rivaux et ses adversaires.