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Page:Aimard - Le forestier.djvu/138

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Le Forestier, par Gustave Aimard

— Selon votre pensée, quel peut être ce motif ?

— Señor, à Panama, tout le monde ou presque tout le monde se livre à la contrebande, depuis le gouverneur jusqu’au dernier peon.

— Tiens, tiens, tiens fit Michel.

— Bien entendu, reprit l’Indien, que tous agissent avec la plus grande prudence, et que ceux qui profitent davantage de ce libre trafic, c’est-à-dire le gouverneur et tes autres membres du gouvernement, sont implacables pour les petits contrebandiers, qu’ils pourchassent à outrance, car ceux-ci leur font souvent beaucoup de tort.

— De sorte que ?

— Les autres contrebandiers, qui savent parfaitement à quoi s’en tenir, emploient tous tes moyens imaginables pour échapper aux poursuites dirigées contre eux, c’est une suite continuelle de luttes et de finesses…

— Très bien, mais je ne vois pas paraître don Jesus Ordoñez dans tout cela.

— Don Jesus est un des plus fins et en même temps des plus hardis contrebandiers de Panama, associé avec don Pablo de Sandoval et quelques autres.

— Comment ! s’écria Michel, don Pablo de Sandoval, le commandant de la corvette la Perle !

— Lui-même : ils font ce commerce en grand, tout leur est bon ; les associés avaient besoin d’une maison sûre pour cacher leurs marchandises ou tes entreposer ; la casa Florida, qui possède une entrée sur la campagne, leur convenait parfaitement ; voilà pourquoi don Jésus l’a achetée.

— C’est probable, en effet ; et vous êtes certain que don Jesus ignore les réduits secrets de cette maison ?

— J’en suis convaincu ; qui les lui aurait enseignés ?

— Un hasard tes lui aura peut-être fait découvrir ?

— C’est impossible, señor, vous en aurez bientôt la preuve ; d’ailleurs, depuis que cette maison a été vendue pour la première fois et fouillée du haut en bas et dans tous tes sens, il y a longtemps déjà que ce secret serait connu, et ce qui pour moi est une preuve positive de l’ignorance complète de don Jésus à ce sujet, c’est la facilité avec laquelle il vous l’a louée, et le prix modique qu’il vous a demandé.

— Bon, j’admets cela ; mais quoi attribuez-vous ce désir subit de me louer cette maison ?

— Qui sait ? peut-être le surveille-t-on, se doute-t-on de quelque chose et veut-il ainsi égarer ou faire cesser tes soupçons ; il est bien fin, le señor Ordoñez.