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Page:Aimard - Le forestier.djvu/15

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Le Forestier


Le forestier s’était parfaitement aperçu des diverses manœuvres de ses voisins les gentilshommes de la montagne, mais il avait feint de ne pas les voir, de crainte de leur faire ombrage.

Plus tard, des relations, peu fréquentes mais assez facilement acceptées de part et d’autre, s’étaient nouées tout doucement entre tes deux parties contractantes, selon les exigences de la situation, la nécessité ou le hasard.

C’est-à-dire qu’il était arrivé que maintes fois un bandit serré de trop près avait cherché un refuge dans la chaumière ; refuge qui jamais n’avait été refusé ; d’autres fois un salteador blessé avait été recueilli, pansé et guéri par la famille du forestier, qui, lui, n’avait, au contraire, jamais eu besoin d’avoir recours pour quoi que ce fut à ses voisins.

Il en était résulté de tout cela que le forestier était réellement le roi de la montagne, et qu’une protection occulte, mais attentive et dévouée, veillait incessamment sur lui et sur sa famille.

Malheur à celui qui, cédant à une mauvaise inspiration, aurait osé faire au forestier ou à quelqu’un des siens la plus légère injure, il l’eût immédiatement payée de sa vie.

Lorsque les filles de No Santiago furent assez grandes pour accompagner leur père, et que même, souvent, selon leur caprice, elles s’amusèrent à courir seules les montagnes comme des biches effarouchées, escortées de leurs frères de lait, aussi jeunes qu’elles, cette protection occulte redoubla, et jamais les jeunes filles n’eurent à se repentir de leur témérité.

Quand, le dimanche, la petite colonie de la vallée partait pour entendre la messe au hameau situé sur le versant de la montagne, la maisonnette demeurait seule, portes et fenêtres ouvertes, sous la garde des chiens ; plus formidablement protégée par sa faiblesse même que si elle eût eu une garnison.

Si par hasard un bandit passait par là, ayant faim ou soif, il entrait, mangeait un morceau, buvait un coup. et se retirait après avoir remis tout en place et caressé les chiens, qui l’accompagnaient en remuant la queue jusqu’à la porte de l’enclos.

Depuis près de seize ans les choses allaient ainsi dans cette vallée, coin de terre ignoré, mais où tant de bonheur se trouvait réuni, le jour où commence cette trop véridique histoire.

Voilà quel était, ou du moins paraissait être l’homme que le lecteur sait maintenant être le propriétaire de la chaumière, et ce qui se disait sur son compte.

Lorsque le déjeuner fut terminé. No Santiago tordit une cigarette ; mais,