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Page:Aimard - Le forestier.djvu/157

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Le Forestier

tomber les soupçons que l’on avait conçus contre elle, probablement à cause de sa position isolée ; de plus, le comte est un puissant seigneur, son influence est immense ; j’ai agi avec lui de manière à attirer sa confiance ; il se croit mon débiteur pour le service apparent que je lui ai rendu ; je cultiverai assidûment sa connaissance ; je me ferai son ami, ce qui me sera facile, car il est jeune, il semble doux, loyal, sans expérience encore ; tout naturellement il nous protégera et au besoin, si on nous attaque, eh bien ! il nous défendra, et, appuyés par lui, nous n’aurons plus rien à redouter ; comprenez-vous, maintenant ?

— Parfaitement, cher señor, parfaitement, c’est affaire à vous d’arranger aussi bien les choses.

— Et qui sait ? continua l’haciendero, le comte est pauvre, il me l’a avoué lui-meme ; peut-être, en le circonvenant adroitement, réussirons-nous à en faire non seulement un ami, mais encore un complice.

— Vive Dios ! ce serait un coup de maitre ! s’écria le corregidor avec enthousiasme, mais se reprenant aussitôt et se signant le Seigneur me pardonne d’avoir pris son saint nom en vain ! ajouta-t-il avec componction.

— Pour obtenir ce résultat que je ne considère nullement comme impossible, reprit don Jesus, il faut beaucoup de prudence jointe à beaucoup d’adresse.

— Il faut avant tout parvenir à le compromettre, le reste, viendra tout seul après.

— C’est cela même, mon cher don Cristoval, je m’en charge, et je réussirai, je vous le jure.

— Je n’ai pas de doute à cet égard.

— Il nous reste quelques marchandises en dépôt ici, nous allons nous occuper à les faire disparaître ; pouvez-vous les recevoir chez vous ?

— Cela me sera bien difficile ; mais n’avez-vous pas quelque grenier, quelque cave, quelque réduit ignoré, enfin, dans cette maison, ou vous puissiez tes cacher sans craindre qu’elles soient découvertes ?

— Hélas ! non, cher seigneur, cette maison, vous le savez, n’est qu’un lieu de repos, un pavillon de chasse & peu près ; elle n’a ni caves ni cachettes.

— Voilà qui est malheureux.

— Mais ne vous chagrinez pas, les marchandises dont je vous parle ne sont pas embarrassantes, ce sont quelques paquets de perles et un ou deux ballots de plata pigna ; dès que la nuit sera noire, nous les transporterons chez vous sans être aperçus ; à nous trois, il ne nous faudra qu’un voyage.

— Soit, puisqu’il le faut, dit le corregidor d’un air désolé.