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Page:Aimard - Le forestier.djvu/165

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Le Forestier

— Je te connais, Fil-de-Soie, et je sais heureux de t’avoir près de moi.

— Pas plus heureux que je ne le suis moi-même, capitaine Laurent, répondit-il avec émotion.

— Ce failli gamin-là a des mots, je ne sais pas où il va les chercher, ma parole d’honneur, dit Vent en-Panne.

— Oh ! pas bien loin, capitaine, dans mon cœur.

— Diable d’enfant, va ! ce ne sera pas de ma faute si je n’en fais pas un vrai matelot.

— Fil-de-Soie, mon enfant, fais apporter quelques bouteilles, et appelle nos camarades ; ils doivent avoir terminé la besogne, dit le capitaine Laurent.

— Tu as raison, frère, faut parler à nos gars, ça les chagrine de passer pour des domestiques ; je comprends ça, et toi ?

Laurent sourit.

— Moi aussi, dit-il, mais n’aie pas peur, tu vas les voir dans un instant changer de note.

La porte s’ouvrit, les flibustiers entrèrent. Fil-de-Soie apporta un panier de vins et de liqueurs. Laurent se leva et salua courtoisement les assistants.

Le capitaine Laurent était d’une beauté hors ligne sa taille élevée, svelte et bien prise, avait une grâce et une majesté extraordinaires ; il y avait dans toute sa personne quelque chose qu’on ne pouvait analyser, de doux, d’efféminé même, qui était essentiellement sympathique ; d’un courage de lion, d’une volonté de fer, et d’une vigueur extraordinaire, il avait dompté toutes ces natures primitives et grossières, mais foncièrement bonnes, dont il était l’idole et qui l’avaient surnommé le beau Laurent.

Ce qu’on racontait de ce terrible aventurier dépassait de très loin toutes les limites du possible ; bien que très jeune encore, il avait accompli des actions d’une témérité telle qu’elles semblaient extraordinaires, même à ses compagnons du reste, l’expédition dans laquelle il était engagé était une des plus folles qui puissent traverser l’esprit d’un homme ; le lecteur en jugera bientôt. Soyez les bienvenus, frères, dit-il ; je sais heureux de vous sentir près de moi et de pouvoir m’appuyer sur vos braves cœurs. Dès aujourd’hui la lutte commence ; lutte qui doit inévitablement se terminer par la défaite de nos adversaires ; mais souvenez-vous de notre devise : « Tous pour un, un pour tous. » Si vous la mettez en oubli, nous sommes perdus. Chacun a son rôle dans cette comédie terrible, remplissez tes vôtres comme je remplirai le mien, sans hésitation comme sans défaillance, et, sur ma foi de Frère de la Côte 1 je vous garantis le succès ; est-ce convenu !

— Pardieu ! frère, dit Tributor, espèce de géant aux traits un peu effacés,