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Page:Aimard - Le forestier.djvu/17

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Le Forestier

Mais les chasseurs sont de tous les hommes les plus oublieux ; dès qu’ils sont lancés sur la piste d’un gibier quelconque, ils ne se souviennent plus de rien.

Les heures se passèrent sans que le forestier, en quête sous la feuillée, songeât une seule fois à regagner sa demeure.

À plusieurs reprises, il avait entendu des fanfares sous le couvert, mais il n’y avait attaché qu’une médiocre attention il ne voyait que son solitaire, ou plutôt il ne le voyait pas, ce dont il était fort vexé.

Le soleil était couché depuis longtemps ; le soir était venu, avec le soir l’orage.

Plusieurs éclairs blafards avaient sillonné le ciel ; le tonnerre avait grondé à plusieurs reprises, et tout à coup la pluie s’était mise à tomber fine et drue avec une force extrême ; de plus, l’obscurité était devenue complète.

Le forestier se rappela alors qu’il avait promis à sa femme de rentrer de bonne heure ; il se mit immédiatement, quoiqu’un peu tardivement, en devoir de remplir sa promesse.

Bien qu’il fit très sombre, il connaissait trop bien la montagne pour craindre de s’égarer.

Il marchait donc aussi rapidement que le lui permettait le terrain accidenté qu’il foulait, lorsque soudain son chien commença à aboyer avec force ; et il crut entendre un cliquetis d’épées à une courte distance de l’endroit où il se trouvait.

Sans réfléchir davantage, il lança le chien sur cette piste et le suivit en courant.

Bientôt il déboucha dans une étroit clairière au centre de laquelle un cavalier démonté et se faisant un rempart de son cheval mort se défendait en désespéré contre six bandits qui l’attaquaient tous à la fois.

Autant que le forestier en put juger à la lueur d’un éclair, ce cavalier, entièrement vêtu de velours noir, était un gentilhomme de haute mine, pâle, maigre, assez jeune encore et dont la physionomie un peu effacée avait cependant un indicible cachet de grandeur et de noblesse.

— Holà ! mes maîtres, s’écria le forestier en dégainant son couteau de chasse et en se plaçant d’un bond à la droite du cavalier. À quel jeu jouons-nous donc ici ?

— No Santiago ! s’écrièrent les assaillants, qui avaient reconnu sa voix.

Et ils firent un pas en arrière.

Le cavalier profita de cette trêve pour reprendre haleine.