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Page:Aimard - Le forestier.djvu/173

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Le Forestier

— Je l’entends bien, et qui frappent fort, même, quels poignets !

— C’est qu’ils sont pressés d’entrer, sans doute.

— Bah ! qu’ils attendent qu’il fasse jour ; ils peuvent frapper à leur aise, les portes et la devanture sont solides.

— Lève-toi, mon homme, et va ouvrir.

— Ouvrir à cette heure, y penses-tu, Ivonne ? regarde donc, il fait presque nuit.

— J’y pense si bien, mon homme, que si tu ne te lèves pas, je me lèverai, moi. Pour qu’ils fassent ce vacarme à ta porte, il faut que ces gens s’en croient le droit, et que leurs poches soient bien fournies de doublons et d’onces espagnoles.

— Tu as raison, s’écria l’aubergiste en se jetant à bas de son lit et en commençant à s’habiller en toute hâte.

— À la bonne heure, dépêche-toi de voir ce qu’on te veut. Pendant ce temps-là je me lèverai, moi aussi, et j’éveillerai les garçons.

— C’est ça, ma femme, répondit l’aubergiste avec un gros rire.

— Il embrassa sa femme sur les deux joues et descendit l’escalier en courant.

On frappait toujours à la porte.

Maître Kornick se hâta de l’ouvrir, sans même demander qui était là ; il connaissait ses pratiques.

Quatre ou cinq hommes entrèrent.

L’aubergiste ôta son bonnet et salua respectueusement en esquissant son plus gracieux sourire, qui était une affreuse grimace.

— Est-elle futée, cette Ivonne ! murmura-t-il à part lui ; elle les avait devinés.

Les nouveaux venus s’installèrent devant une table.

— De l’eau-de-vie, des pipes et du tabac, pour que nous puissions prendre patience en attendant le déjeuner que tu vas nous préparer et que tu nous serviras dans la chambre bleue, dit l’un d’eux.

— Pourquoi pas ici, mon cher Montbarts ? demanda un autre.

— Parce que, monsieur d’Ogeron, répondit le célèbre flibustier, nous avons à nous entretenir d’affaires sérieuses et que, dans une heure, cette salle sera remplie de buveurs.

— Vous avez raison, mon cher capitaine.

— Tu entends, Kornick, un bon déjeuner pour cinq personnes ; donne-nous ce que tu voudras, mais prends bien garde que tout soit excellent.

— C’est Ivonne en personne qui fera le déjeuner du capitaine.