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Page:Aimard - Le forestier.djvu/191

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Le Forestier

des instructions excessivement sévères, n’avaient pas été aussi difficiles, on aurait facilement atteint le chiffre énorme relativement d’au moins douze mille hommes : car ceux qu’ils avaient écartés étaient tous valides, aguerris et capables d’un excellent service.

— Qu’en dites-vous ? demanda Montbarts au gouverneur, avec son charmant sourire toujours empreint d’une fine pointe d’ironie.

— Que voulez-vous que j’en dise ? répondit le gouverneur complètement ahuri par ce résultat inespéré ; c’est à n’y pas croire !

— Pardieu ! ajouta-t-il en souriant, qu’on vienne me dire, après cela, que mes colons sont essentiellement cultivateurs, pour le coup j’ai la preuve en main, et je saurai que répondre. Vive Dieu ! amiral, vous en conviendrez avec moi, c’est une singulière colonie agricole que la nôtre !

— Bah répondit doucement Montbarts, qui sait ? Laissez-nous jeter notre gourme peut-être avant vingt ans d’ici détesterons-nous ta guerre autant que nous l’aimons aujourd’hui ?

— Hélas, mon cher Montbarts, dit le gouverneur avec un désespoir comique, je le désire sans oser l’espérer ! ni vous ni moi nous ne verrons ce résultat, qui est ce que je désire le plus au monde.

— Je vous avoue franchement, mon cher monsieur d’Ogeron, que quant à moi, je ne tiens nullement à voir ce résultat dont vous parlez.

Vous, je comprends cela, dit-il avec un soupir à faire tourner les ailes d’un moulin, vous êtes un batailleur, tandis que moi !…

Montbarts se mit a rire, et la conversation en resta là.

Ces deux hommes, qui s’aimaient et s’estimaient comme s’ils eussent été frères, doués tous deux d’une intelligence d’élite, étaient engagés chacun dans une voie si diamétralement opposée, que, placés sur un certain terrain, il était radicalement impossible qu’ils arrivassent jamais à s’entendre aussi avaient-ils franchement renoncé à entamer toute discussion l’un contre l’autre.

Cependant le Port-de-Paix s’encombrait de navires ; les bâtiments arrivaient de Leogane et de Port-Margot, les uns après les autres, et cela si bien et si rapidement, que huit jours à peine après l’enrôlement terminé, toute la flotte flibustière se trouva réunie à Port-de-Paix.

La rade présentait un des spectacles les plus saisissants et les plus pittoresques qui se puissent imaginer.

Il régnait dans la ville une activité incroyable.

On embarquait les vivres, l’eau et les munitions de guerre ; sans cesse des canots sillonnaient ta rade dans tous les sens.

Montbarts était partout, voyait tout, surveillait tout.