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Page:Aimard - Le forestier.djvu/194

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Le Forestier, par Gustave Aimard

Mais cette différence de costume n’était qu’une distinction purement fictive entre l’officier et le matelot ; à terre ils ne se faisaient pas faute de s’en alter bras dessus bras dessous s’enivrer ensemble, jouer, perdre on gagner des sommes folles dans les plus intimes tavernes.

Toute distinction cessait à terre ; seulement, à bord, la discipline régnait, mais là elle était toute-puissante, dure et implacable un mot, un regard, un geste étaient compris et obéis avec l’obéissance passive la plus complète ; une ligne de démarcation immense, infranchissable, séparait l’officier du matelot, dont une heure auparavant il avait fait son compagnon d’orgie ; celui-ci le savait, il ne s’en offensait pas et trouvait, au contraire, toute naturelle cette distance établie entre lui et son chef ; car, matelot aujourd’hui, demain il pouvait commander à son tour et avoir sous ses ordres celui auquel il obéissait avec une si grande docilité et une si respectueuse déférence.

Les officiers prirent des sièges préparés a l’avance devant une grande table recouverte d’un tapis vert, et te conseil commença.

Montbarts expliqua avec netteté et concision le plan qu’il avait conçu.

Ce plan était un chef-d’œuvre d’adresse, d’audace et d’intelligence.

Les flibustiers écoutèrent l’amiral avec la plus profonde attention, sans l’interrompre une seule fois.

Lorsque Montbarts se tut, tous s’inclinèrent.

— Vous n’avez pas d’observation à me soumettre, messieurs ? demanda le flibustier.

— Aucune, amiral, répondirent-ils.

— Donc, maintenant nous passerons, si vous le voulez bien, a l’exécution : entendons-nous, je ne prétends parler ici que des mouvements que nous devons opérer avant d’atteindre la terre ferme ; car notre expédition se divise en deux parties, bien distinctes la première qui est essentiellement maritime, et la seconde, au contraire, pendant laquelle nous nous changeons en soldats, traversons de longs espaces de terre, et oublions complètement notre métier de matelots, excepté pour la rapidité de nos attaques et la célérité de nos marches à travers bois à la poursuite de ceux que nous voulons surprendre.

— C’est juste, dit Morgan.

— Nous ne nous occuperons donc ici que de la première partie de notre expédition, dit Montbarts, puisque c’est la seule qui soit en cause en ce moment. Notre flotte est nombreuse, les Espagnols, mis en éveil par nos immenses préparatifs et instruits par leurs espions, nous surveillent d’autant plus qu’ils ignorent, sur quel point doivent porter nos efforts et quelle est celle de leurs colonies que nous voulons attaquer ; il faut autant que possible les