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Page:Aimard - Le forestier.djvu/209

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Le Forestier

Les trois autres embarcations dont nous avons parlé, et qui par respect étaient demeurées un peu en arrière afin de laisser au gouverneur l’honneur d’accoster le premier la corvette, arrivèrent à leur tour, de sorte que bientôt tous les convives du capitaine se trouvèrent réunis sur le pont de son navire, au nombre d’une quinzaine environ.

Tous ils appartenaient aux premières ou aux plus riches familles de la ville.

Chaque cavalier offrit le poing à une dame, et on suivit le gouverneur, qui avait témoigné le désir de visiter le bâtiment pendant que l’équipage demeurerait à ses postes de combat, ce qui lui fournirait l’occasion de passer une double revue, celle de la corvette et celle des hommes qui la montaient.

Don Fernan et doña Flor, peu curieux de ce spectacle, le jeune homme parce que sans doute, marin lui-même, il n’y avait plus rien d’imprévu pour lui, et la jeune fille, peut-être par timidité féminine, ou tous les deux pour des motifs qui leur étaient particuliers et connus d’eux seuls, laissèrent tout doucement passer devant eux leurs compagnons, demeurèrent un peu en arrière, et, profitant aussitôt de leur isolement au milieu de cette foule dont un vif attrait de curiosité attirait l’attention d’un autre côté, ils entamèrent à voix basse une conversation qui, à en juger par le jeu de leur physionomie et l’éclat de leurs regards, devait être non seulement très animée, mais encore très intéressante.

Plusieurs fois déjà, don Fernan avait eu l’occasion de se rencontrer ainsi seul avec doña Flor ; nous disons seul, parce que les amoureux, gens les plus égoïstes qui soient au monde, rapportent tout à eux, ne voient qu’eux, et ont pour coutume de ne rien remarquer de ce qui n’intéresse pas directement leur amour.

Doña Flor, dont les yeux, la première fois qu’elle avait vu don Fernan, lui avaient si clairement laissé comprendre ce que son cœur éprouvait, n’avait pas jugé à propos de revenir sur cet aveu tacite, lorsque le jeune homme lui avait déclaré son amour avec cette hypocrisie que possèdent tous les amants ; hypocrisie qui ressemble tant à de la déloyauté, car, lorsqu’ils risquent un aveu, c’est qu’ils ont au fond du cœur la certitude que cet aveu sera écouté sans colère, don Fernan avait ajouté

— Et vous, doña Flor, m’aimez-vous ?

La jeune fille, toute rougissante et toute frémissante, fixa sur lui ses beaux yeux au clair et limpide regard, et laissa doucement tomber sa main dans la sienne en ne lui répondant que ce seul mot :

— Oui.


FIN