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Page:Aimard - Le forestier.djvu/52

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Le Forestier

non pas par ambition, depuis bien longtemps déjà toute ambition était morte dans son cœur ; mais il trouvait que cette réparation si juste était due au fils de la femme que lui, le roi, avait tant aimée, et qu’il faisait injure à sa mémoire en faussant la parole qu’il lui avait si solennellement engagée.

Ce n’était pas tout encore ; le roi n’était pas demeuré fidèle au souvenir de la pauvre morte ; malgré l’éclat de sa douteur, peu à peu il avait repris son train de vie habituel ; plusieurs maîtresses s’étaient succédé auprès de lui et avaient brillé à la cour une d’elles lui avait donné un fils ; ce fils, sous le nom de don Juan d’Autriche, était publiquement élevé auprès du roi, qui l’aimait beaucoup, et dont il partageait les faveurs avec Gaston-Philippe, qui lui, cependant, bien que non reconnu encore, était fils légitime du roi, et l’héritier direct de la couronne.

De plus, une haine sourde, implacable, toujours vivace, semblait depuis sa naissance veiller attentive auprès du jeune homme. Était-ce fatalité ?

Vainement le vieux duc essayait d’acquérir une certitude à ce sujet ; mais au concours inouï de circonstances groupées par le hasard ou par une haine patiente augmentait encore sa perplexité en redoublant ses craintes pour la vie de son petit-fils.

À plusieurs reprises, le jeune homme avait failli être victime d’accidents singuliers ; sa vie même avait été mise en péril.

Ces accidents avaient été si habilement préparés que Gaston, avec l’insouciance naturelle à son âge, et d’ailleurs doué d’une bravoure à toute épreuve, racontait en riant à son grand-père, qui, lui, hochait tristement la tête en l’écoutant, comment, emporté par un cheval devenu subitement furieux, il avait failli se briser sur les rochers ; comment, une autre fois, en faisant des armes avec le comte de Medina Sidonia, jeune homme à peu prés de son âge et son grand ami, le fleuret du comte s’était tout à coup démoucheté sans qu’on sût à quoi attribuer cet accident, et que peu s’en était fallu qu’il fût traversé de part en part.

Une autre fois, à la chasse, des balles avaient sifflé à ses oreilles sans qu’il fut possible de découvrir celui ou ceux qui avaient commis cette maladresse.

Enfin l’ensemble de tous ces faits était effrayant et donnait fort à penser au vieux duc.

Les choses en étaient là, lorsqu’un matin du mois de mai 1750, le comte Gaston arriva à l’improviste à Tormenar, où, depuis près d’une année, il n’avait pas mis les pieds.

Le duc de Biscaye, prévenu par un de ses serviteurs, se hâta d’aller à la rencontre du jeune homme, qui, en apercevant son grand-père, sauta à bas de