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Page:Aimard - Le forestier.djvu/54

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Le Forestier, par Gustave Aimard


— Je vous le donnerai, moi, soyez tranquille ; mais avant de m’expliquer, j’aurais voulu voir près de vous un saint homme…

— Il est absent, mon fils, interrompit le duc ; depuis un mois déjà le père Sanchez m’a quitté ; car c’est de lui que vous voulez parier, sans doute ?

— Oui, mon père, de lui, votre vieil ami ; seul qui soit resté fidèle à notre famille.

— Hélas ! enfin, le père Sanchez est depuis un mois à Madrid, où l’ont appelé à l’improviste des affaires de la plus haute importance, à ce qu’il m’a dit du moins avant de quitter le château ; je m’étonne que vous ne l’ayez pas vu à la cour.

— J’en suis étonné, moi aussi, mon père ; ordinairement, lorsqu’il venait à Madrid, sa première visite était pour moi. Sans doute il aura été empêché, mais puisque le padre Sanchez est absente je vous dirai tout, à vous seul, mon père.

— Parlez, enfant, je vous écoute.

— Je dois d’abord vous dire, monsieur le duc, que, depuis quelques mois déjà j’avais cru remarquer qu’un grand changement s’opérait dans les manières du roi à mon égard ; Sa Majesté continuait à me bien traiter sans doute, mais sans épanchement, sans laisser aller ; il y avait enfin dans ses manières, lorsque j’allais lui rendre mes devoirs à l’Escurial, une gêne et une contrainte que je n’avais jamais observées en lui jusqu’alors ; plus le temps s’écoulait, plus ces manières se faisaient froides, sèches et même hautaines ; plusieurs fois, l’entrée de la chambre royale me fut refusée et je quittai le palais sans parvenir jusqu’à Sa Majesté.

— Oh ! cela c’est singulier, en effet ! murmura le duc dont les sourcils se froncèrent.

— Cela n’était rien encore, continua le jeune homme avec ironie ; j’étais destiné à souffrir d’autres insultes autrement graves que celle-là ; les courtisans, se modelant selon leur coutume sur le souverain, prenaient avec moi un ton qui me déplaisait fort, ils chuchotaient, se parlaient bas à l’oreille lorsqu’ils m’apercevaient ; s’ils l’eussent osé, ils m’auraient tourné le dos ; je souffrais en silence ces attaques ridicules, attendant patiemment qu’une insulte directe me fut faite en face, afin d’en tirer une éclatante vengeance. Avais-je raison, mon père ?

— Oui, mon fils, vous agissiez en homme de cœur je pressens comment tout cela a dû finir.

— Au contraire, mon père, vous ne vous en doutez pas, répondit-il avec un

(Liv. 9)